Éduqué dans la mamelle de l’Exil et de la Résistance, Gbagbo, à la vérité, n’entrera jamais en Côte d’Ivoire, du moins celle souveraine et prospère en vertu de laquelle il avait combattu. Il est allé à la porte de ce pays rêvé, et en a été interdit lorsque, ayant mûri, le rêve devait commencer à prendre forme. Il en est ainsi de tous les prophètes et de tous les leaders dont la vie préfigure des Actions et une pensée révolutionnaires…
Et puisque nous lisons le monde avec les Livres anciens qui l’ont façonné depuis Kémèt, Moïse aussi n’entra pas à Canaan, mais avait-il démérité ? Loin de là, les textes le présentent comme l’un des plus grands prophètes. Mais deux choses lui auraient fermé la porte de la Terre promise : cette violence mal canalisée ( il tue un “Égyptien”, brisé les Tables de la Loi, frappé sur le roc à sa convenance, contre la prescription divine). Un supplément de violence mal contenue était demeuré en lui, qui a tâché ses mains… Pour autant, les Ecritures disent que Moïse a été enlevé par le Très Haut lui-même pour le conduire rien moins qu’au paradis, qui a tenu aussi à lui montrer Canaan au loin : les prophètes n’entrent jamais à Canaan, mais conduisent toujours le peuple jusqu’à la porte de la liberté… SAUF SEULEMENT PLUS TARD, AVEC LA POSTERITE, a ENTRER APReS COUP, DANS LA CANAAN CELESTE…
Rapporté à l’Histoire, cette pensée a été incarnée par les pères fondateurs des indépendances africaines, tous morts tandis qu’ils avaient accompagné le peuple au pied de l’édifice : Ni Malcom X, ni Luther King, ni Marcus Garvey, ni Nkrumah, ni Lumumba, ni Sékou Touré, ni Um Nyobe, ni Sankara, ni même cet historien éclairé de Gbagbo ne rentreront au Pays Rêvé, ils en délimiteront l’étendue, en définiront la norme, et laisseront germer la graine qu’un jour les continuateurs devront reprendre pour garder le flambeau allumé…
Décliné dans l’histoire des sciences, on peut en dire autant de Diop, qui a semé sur une Terre encore aride, sourde à l’inauguralité, par temps de grande incompréhension, puis un jour que son génie a explosé, et qu’il s’est rapproché du but, il s’en est allé lui aussi, sans entrer davantage à Canaan de son vivant… Mais il a entrevu la gloire de son ouvrage, que d’autres après lui, ont commencé à relayer depuis, sans qu’ils s’assurent davantage de rentrer de leur vivant à Canaan… Et ainsi de suite, les réformateurs ne goûtent jamais le fruit de leur labeur, mais œuvrent sans relâche à leur maturité pour les générations futures. Leur grammaire est celle du sacrifice, de la solitude, voire du paradoxe…
L’obligation de Moïse, comme des autres puissants réformateurs de la Foi, de l’entendement et de l’Histoire : veiller à former des continuateurs pour garder la flamme allumée, multiplier la formation des disciples. Aaron était la bouche de Moïse, Blé Goudé celle de Gbagbo auxquels les bâtons de pèlerin doivent être donnés pour continuer le Combat…
L’impréparation et l’absence d’une réelle pensée des équivalences entre les actions engagées, leurs moyens et leurs conséquences auront fini par faire défaillir Gbagbo. La mathématique est la bergère de l’action : oui nos actions doivent désormais être calculées, évitant toute improvisation, tout amateurisme, toute ingéniosité que l’Histoire ne nous pardonnerait jamais. Gouverner, c’est calculer, c’est anticiper, c’est se tenir à hauteur économétrique de nos choix et de nos actes.
C’est vrai que la défaite de Gbagbo et des grands héros de l’Histoire ouvre paradoxement sur une aurore en l’économie de laquelle il faut entrer, elle appelle le revenir de la pensée, là où elle aurait été interrompue, inachevée, là où l’action aurait échoué, aveuglée par l’impréparation, la non-calculabilité, par le déficit géométrique. Ne sommes-nous pas d’abord des géomètres à Kama ? Si ce n’est plus le cas, nous devons le redevenir pour défendre des projets, nos libertés, nos richesses, nos Lois et nos Droits de fçon formelle, avec des actes mesurés, calculés, soumis à une rude épreuve de probabilité. Notre avenir s’écrit avec des probabilités, des projections fractales, asymétriques, des propansions… Nos erreurs sont nos leçons, la chance de nos jours futurs : Errata mathemata.
Décliné dans l’histoire des sciences, on peut en dire autant de Diop, qui a semé sur une Terre encore aride, par temps de grande incompréhension, puis un jour que son génie a explosé, et qu’il s’est rapproché du but, il s’en est allé lui aussi, sans entrer davantage à Canaan de son vivant. Mais il a entrevu la gloire de son ouvrage, que d’autres ont commencé à relayer, sans qu’il leur soit donné davantage de rentrer à Canaan… Et ainsi de suite, les réformateurs ne goûtent jamais le fruit de leur labeur, mais œuvrent sans relâche pour les générations futures. Leur grammaire est celle du sacrifice, de la solitude, voire du paradoxe.
La Bête survit là où abondent l’Or…Et les Résistants sont embastillés. Mais l’esprit de la résistance pour la souveraineté qui est né en eux, ne meurt jamais… Le plus paradoxal pour l’Afrique : souffrir l’unilatéralisme d’une ingérence dont les lendemains montreront comme au Koweit et en Irak, qu’elle était assise sur des bases mensongères. Car ce n’est pas pour n’avoir pas été élu que Gbagbo et la Côte d’Ivoire ont été bombardés, le moindre esprit logique entend bien que sa défaite électorale est mathématiquement impossible, mais pour avoir choisi une option souverainiste, dont il fallait vite éradiquer l’effet d’entraînement à l’échelon continental… Et si l’on vient à regarder la géographie de cette interruption brutale qui va d’Abidjan à Tripoli, l’on entend bien que le desseint était identique : dans la destruction de la graine qui allait semer demain les prodiges de la souveraineté économique et politique, la Bête noire de la Bête, la Bête de la Colonie et de la post-colonie…
Les prophètes n’entreront jamais à Canaan, mais regardent au loin, le pourtour de l’a-venir, ils conduisent toujours le peuple jusqu’au pied de la Collonie, aux abords de la liberté…Si notre monde ne devait jamais renoncer à l’or-dre des colonies et des post-colonies, s’il devait en rester subjugué , tétanisé par le réflexe de la domination, reste aux prophètes à inventer autre chose, par-delà ce regard qui anticipe sur le devenir…
Peut-être doivent-ils repenser les erreurs, leurs stratégies, leurs prédictions, et les méditer pour le restant de leur vie, pour léguer au futur un viatique de bien meilleure provision… Lorsque le peuple lui, ne doit jamais plus avoir une mémoire courte, mais vivace, une résistance organisée, à la tête de laquelle naîtrait une tout-autre race de leaders et d’intellectuels : les visionnaires géomètres, les physiciens du politique, marchant comme homo erectus, fixe sur l’instable, dominant les lois asymétriques, les lois destabilisatrices, debout face à la pesanteur…
Par Le Shemsu Maât, Grégoire Biyogo.