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Laurent Correau enquêtait sur les exactions commises dans le sud du Tchad entre 1982 et 1990

Avant d’être violemment giflé et expulsé, Laurent Correau enquêtait sur les exactions commises dans le sud du Tchad entre 1982 et 1990

Laurent Correau, envoyé spécial de Radio France Internationale au Tchad, a été chassé du pays par les autorités. Il explique au journal français « La Croix » ce qui lui est arrivé.

Le récit du journaliste français de RFI expulsé du Tchad.

Son expulsion est sans doute liée au sujet sur lequel il travaillait : les exactions commises dans le sud du pays pendant les années Hissène Habré.

Tout a été très vite pour Laurent Correau, envoyé spécial au Tchad pour Radio France international (RFI). D’une voix assurée, il raconte qu’un peu avant 22 heures, mardi 23 juin, deux hommes en djellaba se sont présentés à son hôtel pour lui dire, après lui avoir affirmé qu’ils étaient des agents de la police des airs et des frontières (PAF) : «Monsieur Laurent, on vous escorte jusqu’à l’aéroport. Vous partez ce soir».

Surpris, le journaliste réclame des explications et comprend qu’il s’agit d’une expulsion. «Ils m’ont demandé de faire mes bagages immédiatement et de les suivre. Ils étaient fermes et courtois», précise-t-il.

Le ton montre entre le journaliste et ces deux hommes

Le journaliste, connu pour son sérieux et sa rigueur, se rend alors dans sa chambre, appelle le directeur de la police et un leadeur du Mouvement pour le Salut (MPS), le parti présidentiel. Personne n’est informé d’une mesure d’expulsion contre lui.

Inquiet, l’envoyé spécial de RFI quitte sa chambre avec ses bagages. Au même moment, dans le patio de l’hôtel, des journalistes de la presse internationale et deux membres de l’ONG Human Rights Watch se rassemblent pour en savoir plus.

Laurent Correau les aperçoit et les rejoint. Un geste qui agace les deux hommes en Djellaba. «Je ne partirai pas tant que vous ne m’aurez pas présenté l’avis d’expulsion», leur dit-il, décidé. Le ton monte. On demande aux agents de présenter le badge qui les identifie. Ce qu’ils font.

Reed Brody, le porte-parole de Human Rights Watch, présent dans ce groupe, sort son téléphone portable pour les prendre en photo. Il est aussitôt frappé.

De son côté, Laurent Correau est attrapé vigoureusement et reçoit une violente claque sur la joue. Ses lunettes tombent à terre. Le journaliste n’a pas le temps de les ramasser, il est aussitôt conduit à l’extérieur de l’hôtel, avant d’être invité à entrer dans une voiture banalisée.

Seul dans la voiture

La voiture quitte l’hôtel. «J’étais entièrement entre leurs mains, seul, sans aucune certitude sur l’identité de ces hommes, sur la destination de la voiture, sur leurs intentions réelles. J’ai pensé à un enlèvement de Boko Haram ou par des bandits», raconte-t-il.

Au premier barrage tenu par les forces de l’ordre, les hommes dans la voiture s’identifient bien comme membre de la police des airs et des frontières. Laurent Correau se détend, un peu. Le voilà à l’aéroport. Il est bien expulsé.

L’ambassadrice de France repoussée

Ses bagages sont envoyés en soute, la carte SIM de son téléphone tchadien réquisitionnée. Alors qu’il est dirigé vers la salle d’embarquement, l’ambassadrice de France, Évelyne Decorps, alertée, tente de s’approcher de lui.

Les Tchadiens la repoussent à plusieurs reprises et lui disent qu’elle pourra le rencontrer dans la salle d’embarquement. Laurent Correau traverse la douane avant d’être immédiatement conduit sur la passerelle de l’avion. Le lendemain matin, à six heures, il atterrit à Roissy.

L’explication peu convaincante du Tchad

Comment comprendre cette expulsion ? Le gouvernement tchadien a expliqué que le journaliste français, entré légalement au Tchad, avait commencé à travailler sans attendre son accréditation de presse, ce qui est strictement interdit au Tchad.

 J’ai du mal à croire que c’est la véritable raison, répond Laurent Correau. Cela faisait cinq jours que j’étais arrivé au Tchad. Cette accréditation, je l’avais bien entendu sollicitée au ministère de la communication, où l’on m’avait dit que je pouvais commencer mon travail en attendant que l’on me délivre ce papier .

Une colère d’Idriss Déby

 

 

Idriss Déby 21L’explication est peut-être à chercher du côté des sujets abordés par le journaliste de RFI.

J’étais au Tchad pour faire une série de reportages sur les années Hissène Habré, entre 1982 et 1990. Une heure et demie avant d’être expulsé, j’avais rencontré une personne en vue de préparer un sujet sur les exactions commises dans le sud du Tchad pendant cette période. Je m’interroge sur l’existence d’un lien entre ces ceux moments , note-il.

En quoi ce sujet serait-il compromettant pour le régime en place ? Les spécialistes du Tchad le savent : l’actuel président Idriss Déby, alors conseiller à la sécurité de l’ancien Président Hissène Habré, est accusé par des organisations internationales de défense de droits de l’homme d’avoir été à l’époque impliqué dans des exactions sur les civils. Un sujet aujourd’hui tabou au Tchad.

Un signal aux journalistes et à la France

Au-delà de cette affaire, l’expulsion de Laurent Correau peut être comprise comme un signal adressé aux journalistes : « les autorités nous disent que nous n’avons pas la liberté d’enquêter sur tous les sujets au Tchad », interprète Laurent Correau. Un message est aussi adressé à la France : N’Djamena agit comme bon lui semble au Tchad !

Message reçu au Quai d’Orsay : Paris n’a ni regretté, ni condamné publiquement cette expulsion. Le ministère des Affaires étrangères s’est seulement contenté de rappeler qu’il était attaché à la liberté de la presse. Et aucune autorité française, 48 heures après son expulsion, n’avait encore pris contact avec le journaliste de RFI. Comme si rien d’inhabituel ne s’était passé, mardi soir, à N’Djamena.

LAURENT LARCHER
Source: la-croix.com

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