23 novembre 2010 / 21 novembre 2022… Douze ans se sont écoulés depuis le déjeuner de l’Elysée décisif pour l’attribution de la Coupe du monde de football – sur lequel la justice enquête toujours. Au cours de cette rencontre initiée par les Qataris, Nicolas Sarkozy, président de la République en exercice, a convaincu Michel Platini, à l’époque président de l’UEFA et membre du comité exécutif de la FIFA, de voter en faveur de la candidature du Qatar. L’élite du football se prépare ainsi à changer de continent (les USA étaient alors favoris) pour se retrouver donc dans ce pays minuscule où se jouera en novembre et décembre 2022 la 22ème édition du Mondial. Ni ses stars, ni ses dirigeants ne seront dépaysés, tellement ils se sont accommodés ces dernières années de l’omniprésence du Qatar, désormais acteur majeur du football professionnel. Pourtant, il apparaît de plus en plus probable, à la vue des nouveaux documents qui nous sont parvenus, que le Qatar, au plus haut niveau de l’Etat, a mis en place pour parvenir à ses fins une vaste campagne de corruption active pour tenter de s’assurer les soutiens de personnalités politiques et de dirigeants du football mondial.
Les coulisses d’une entreprise mondiale de séduction active
Cette hypothèse, celle d’une rétribution secrète de 15 membres au moins de la FIFA, qui tous ont participé au vote attribuant la Coupe du monde 2022, Blast l’a déjà évoquée au fil de cette enquête au long cours sur l’argent du Qatar. En publiant de nouveaux documents, pièces authentifiées par nos sources, inédites et non contredites à ce jour par les autorités de Doha, nous ouvrons un nouveau volet qui permet de pénétrer un peu plus les coulisses de l’entreprise qatarie.
Depuis la révélation par le magazine France Football (en janvier 2013) du déjeuner de l’Elysée du 23 novembre 2010, la presse spécule sur un deal qui aurait pu être conclu ce jour-là entre les convives : Nicolas Sarkozy, Michel Platini et le prince héritier du Qatar. Dans un article publié le 13 juillet 2020 par Le Monde, notre confrère Rémi Dupré racontait par exemple comment il s’était heurté à la loi du silence, et au kafkaïen Confidentiel défense, quand il a cherché à obtenir le compte-rendu de ce déjeuner.
Corbeau, Ligue des Champions… une affaire de rivalité
Les nouveaux documents que nous publions aujourd’hui expliquent largement les raisons de cette chape de plomb. Pour rappel, Blast s’en est fait l’écho la semaine dernière, le Qatar a été la cible d’une opération d’hacking massive lancée par les Emirats arabes unis, son grand rival dans le Golfe et sur la scène internationale : l’opération baptisée Raven (le Corbeau).
Deux pays qui, ce n’est pas un hasard, règlent désormais aussi leur rivalité à travers l’Europe du football et ses grandes enseignes (avec le PSG en étendard de la puissance qatarie, et le club anglais de Manchester City pour emblème de celle des Emirats arabes).
Nasser Al-khelaifi, exécuteur des ordres princiers
Pour exposer aux yeux de tous la puissance de l’émirat, Nasser Al-Khelaïfi s’est montré un peu partout avec sa dernière proie : Lionel Messi, le génie argentin lui aussi passé sous pavillon qatari cet été.
15 millions d’euros (…) en récompense…
Le contenu de la missive est explicite. Nous avons dû le relire à plusieurs reprises, vue la nature des informations qu’il contient. Adressé au directeur de cabinet du prince héritier (l’actuel émir du Qatar), le signataire indique : « sur la base des nobles instructions de son Excellence le Sheikh Tamim Bin Hamad Al Thani, Prince héritier du pays que Dieu le protège, un montant de 15 millions d’euros (15,000,000) est transféré à son Excellence le Président Nicolas Sarkozy en récompense de son soutien à l’Etat du Qatar pour l’organisation du Mondial 2022 et de l’acquisition du club de Paris Saint-Germain »…
Deux convives de premier plan concernés
Ce n’est pas tout. Deux autres convives français du déjeuner du 23 novembre 2010 sont également cités par le document. En effet, le courrier ajoute qu’« une commission de 2 millions d’euros (2,000,000) est payée à Monsieur Claude Guéant et une commission d’une valeur de 2 millions d’euros (2,000,000) à Monsieur Michel Platini suite à l’acquisition du club de Paris Saint-Germain. » Il n’oublie pas de préciser le numéro du compte bancaire de QSI sur lesquels les fonds doivent être versés… Pour mémoire, Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République, a toujours nié avoir été présent à ce déjeuner – et donc avoir touché ces subsides.
Alors, quel crédit accorder à ce document ? A ce stade, on ne peut affirmer à 100% qu’ils sont authentiques et que les destinataires (des ordres de virement) ont réellement touché ces sommes. Sont-il crédibles? Oui, absolument. Nous avons enquêté pendant plusieurs mois, avons confronté ces pièces à des experts, avons échangé et interrogé des observateurs avisés du gouvernement qatari, avons posé nos questions à l’ambassade du Qatar à Paris. Jamais, leur teneur et leur facture n’ont été mises en cause.
Authentification en barres
Blast publie par ailleurs et en complément un autre document exclusif. Daté du 20 juillet 2011, il provient cette fois du bureau du ministre de l’Economie et des finances qatari. Ce second courrier est adressé au même destinataire : le directeur du cabinet du prince héritier. On y retrouve les conventions protocolaires habituelles et on y apprend surtout que, suivant les instructions de « son Excellence le Sheikh Tamim Bin Hamad Al Thani, Prince héritier vénéré », 19 millions d’euros ont transité depuis le compte bancaire du Qatar Investment Authority (un autre fonds souverain) vers celui de QSI. Selon ce document, ce virement aurait été destiné aux convives du fameux déjeuner de l’Élysée.
L’un des deux documents est marqué par le code barre des autorités qataries – des éléments d’authentification inimitables. Ils n’ont d’ailleurs pas été invalidés par ces mêmes autorités.
« Il s’agit de codes-barres 2D, une technologie utilisée également en France via l’Agence des titres sécurisés, observe l’ex-agent de renseignement Marc Eichinger. Le but est de lutter contre la fraude en insérant un code à barres 2D qui contient les informations clés. Ces données sont cryptées par un système de chiffrement asymétrique (clé publique / clé privée) qui permet le contrôle de la signature par tous les acteurs disposant de la clé publique du signataire émetteur ».
Ces documents ne disent pas si les trois Français cités ont été avertis que le prince Tamin souhaitait les rétribuer pour leurs efforts. Ni si ces fonds leur ont été effectivement versés. Ils établissent en revanche la volonté du prince Tamin, clairement exprimée. Et la réalité d’un mouvement financier destiné à mettre en application cette même volonté princière.
Jamais entendu parler d’une telle intention
Nous avons bien évidemment contacté les trois personnalités concernées, ainsi que l’ambassade du Qatar, pour obtenir un commentaire. Le préfet Claude Guéant a très rapidement répondu, précisant à Blast n’avoir « jamais entendu parler d’une telle intention. » Ni Nicolas Sarkozy, contacté par l’intermédiaire de sa conseillère Véronique Waché, ni Michel Platini, via son conseiller Jean-Christophe Alquier*, ni l’ambassade du Qatar n’ont en revanche, au moment où nous publions cet article, répondu à nos sollicitations. Pas plus que Nasser Ghanim Al-khelaifi, signataire d’un des deux documents, dont nous avons joint le principal collaborateur.
Pourtant, selon nos informations, la Coupe du monde de football de 2022 et le rachat du PSG n’auraient pas été les seuls sujets de conversation du fameux déjeuner du 23 novembre 2011. Un autre point aurait également été abordé par les convives de Nicolas Sarkozy, l’hôte du jour : le renversement du… colonel Kadhafi en Lybie ! Le Qatar aurait ainsi pris l’engagement de financer les frais de la France si elle entrait en guerre. Une option rendue présentable par l’adoption 17 mars 2011 de la résolution 1973 du conseil de sécurité de l’ONU.
Rappelons, 11 ans après ce déjeuner élyséen qui a scellé le sort de la prochaine Coupe du Monde, que 6 500 ouvriers sont décédés dans la construction des stades qui doivent accueillir la reine des compétitions sportives. Le sang qui coule, après l’odeur de l’argent, pour concrétiser les rêves de gloire et de grandeur de la monarchie pétrolière.
Au vu des documents de Blast, plusieurs questions se posent. Elles sont lourdes de sens, et méritent des réponses, à la fois de la part des dirigeants du football, des responsables politiques et aussi de la justice. Que va décider la FIFA ? Peut-elle rester sans réaction face à un tel scandale ? Par ailleurs, la Coupe du monde 2022 doit-t-elle avoir lieu ? Peut-elle encore être organisée par l’Émirat ?
source : BLAST
Vous devez être connecté pour poster un commentaire Connexion