03292024Headline:

Manuel Valls a-t-il refusé la liste des djihadistes français proposée par la Syrie ?

    Pour l’ancien patron de la DCRI, devenue DGSI, « rien n’a été fait » pour coordonner les services de renseignements.

Bernard Squarcini. Directeur central du renseignement intérieur de 2008 à 2012, l’ancien préfet se livre sur l’état actuel de la menace terroriste. Pour lui, des décisions immédiates doivent être prises après les attentats.

Les services de renseignements français étaient-ils prêts ? Clairement, oui. Il était prévu depuis les attentats de Bombay, en 2008, que de telles actions coordonnées et déterminées se produisent sur le territoire français et que la menace s’installe dans la durée. Nous savions que nous allions devoir monter en puissance pour faire face à ce type d’attentat. Il n’y a eu aucune surprise. En revanche, les services français paient les conséquences de certaines décisions politiques. Comme M. Hollande traite Bachar al-Assad de tous les adjectifs, les services syriens ne veulent plus coopérer avec les services français. Comment travaillent nos services, alors ? Nous sommes contraints de faire appel à des partenaires étrangers qui nous donnent les informations qu’ils souhaitent. Sans ces errements idéologiques, peut-être pourrions-nous éviter que des drames se produisent. Vous avez proposé à votre ancien service il y a deux ans de lui transmettre une liste des Français qui combattent en Syrie. Pourquoi a-t-il refusé ?

Il y a déjà deux ans, les services syriens m’avaient effectivement proposé une liste des Français combattant en Syrie.J’en avais parlé à mon ancien service qui en a rendu compte à Manuel Valls. La condition des Syriens était que la France accepte de coopérer à nouveau avec leurs services de renseignements. On m’a opposé un refus pour des raisons idéologiques. C’est dommage car la proposition était une bonne amorce pour renouer nos relations et surtout, pour connaître, identifier et surveiller tous ces Français qui transitent entre notre pays et la Syrie. Résultat : on ne sait rien d’eux et on perd beaucoup de temps en demandant des informations aux agences allemandes, qui sont toujours restées sur place, mais aussi jordaniennes, russes, américaines et turques. On n’est absolument plus dans le concret.

Vous considérez que nous venons d’en payer les conséquences ? Conscients de ces erreurs politiques et diplomatiques, les islamistes de Dae’ch ont commis un attentat remarquable. Parce qu’il se passe à Paris dans une région ultraprotégée, juste avant la Cop21, avec des cibles travaillées et à l’occasion du concert d’un groupe américain qui revient tout juste d’Israël. Les djihadistes ont frappé monsieur Tout-le-monde. Face à de telles attaques et compte tenu des prises de position du gouvernement, il est difficile pour les services de renseignements d’anticiper de manière précise le passage à l’acte. Des attentats sont déjoués. Mais qui sait si les commanditaires souhaitaient véritablement passer à l’acte ? Lors des attentats de Paris, n’y a-t-il pas eu des dysfonctionnements entre la DGSI et la DGSE ? L’enquête révèle qu’on est bien sur la piste d’une filière francobelge, connectée à la Syrie, qui a frappé méthodiquement la France. Pour la DGSI, que je connais bien pour en avoir été le directeur central, je sais qu’entre les renseignements intérieurs français et belge, les relations sont étroites. Mais je m’interroge : quel a été le travail de la DGSE sur les filières syriennes composées de Français en Europe ? Certains acteurs français du renseignement ne l’ont pas encore compris : il n’y a plus de différence aujourd’hui entre la menace intérieure et celle qui vient de l’extérieur. Il faut impérativement renforcer la coopération entre ces deux services. Il y a plusieurs mois, nous avions identifié le formateur de Mohamed Merah qui avait séjourné en Belgique. Nous savions qu’il formait tous les commandos européens et avions demandé à la DGSE de le “neutraliser” mais rien n’a été fait… Heureusement, il a finalement été “droné” par les Américains, mais bien après. Vous dites que la Belgique est un « hub du terrorisme » Effectivement, ce pays est la base arrière du terrorisme en Europe. Les terroristes se donnent rendez-vous sur Internet pour partir faire le djihad et se retrouvent en Belgique pour passer à l’acte. Il faut bien comprendre que l’État belge n’a pas le même état de stabilité que ce que nous connaissons en France, même si leurs services de renseignement intérieur travaillent très bien avec nous. Vous reprochez à la presse de raconter n’importe quoi sur les fiches S…

Oui, il faut repartir de zéro : une fiche “S” est une levée de doutes, attribuée à un individu lorsqu’il est sous les écrans radars et qu’il n’a rien fait de répréhensible pour l’interpeller.

La fiche S permet d’observer cet individu pendant plusieurs mois et d’identifier s’il présente une dangerosité particulière, par son mode de vie, ses fréquentations et ses voyages, et s’il doit faire l’objet de moyens opérationnels lourds de surveillance. Elle a vocation à être actualisée par les services de l’État qui interviennent au quotidien (passages de frontière, contrôles routiers) et qui croisent cet individu. La fiche peut s’enrichir mais aussi s’appauvrir pour finalement être supprimée. Les fiches S vivent. N’y a-t-il pas un meilleur moyen de contrôler ces personnes dangereuses ? Face à ces gens, il faut maintenant appliquer des mesures administratives fermes. Comme on ne peut pas s’occuper de tout le monde, il ne faut plus hésiter, sous le contrôle d’un juge administratif, à assigner à résidence surveillée, à imposer le port du bracelet électronique, à retirer des passeports, à placer en centres de déradicalisation, à expulser. Cela permet une chose : savoir où ils sont et ce qu’ils font pour éviter qu’ils ne passent à l’acte. Depuis trois ans, vous reprochez au gouvernement de perdre du temps… C’est incompréhensible : entre l’attaque de Mohamed Merah et le travail très complet effectué par les commissions d’enquête parlementaires, et celles contre Charlie Hebdo, on a mis en exergue les besoins nécessaires à l’action des services de renseignements, mais on a perdu un temps fou pour réagir puisqu’ils n’ont été mis en place qu’en janvier 2015 ! Dans les services, un mois perdu entraîne une année de perte ! Entre-temps, l’ennemi se prépare et nous frappe. Que faut-il faire pour éviter un nouvel attentat ? Il faut accélérer les modes de recrutement dans le domaine des analystes. Surtout, arrêtons de faire de la communication. Les frappes annoncées dans la nuit de dimanche dernier sont importantes mais pas significatives par rapport aux personnes opérationnelles qui menacent directement l’Europe et la France. Par ailleurs, dans ses déclarations, Manuel Valls n’a rien annoncé de nouveau. La panoplie de mesures qu’il égrène existe depuis des années. En 1994, elles étaient déjà appliquées contre le GIA, le terrorisme islamiste algérien ! Arrêtons de parler. Mettons- les en place ! En matière de politique européenne, il faut créer un fichier des passagers aériens, réclamé depuis plusieurs années. Il faut impérativement rétablir les contrôles aux frontières de manière durable et mettre des moyens pour bloquer la circulation des armes qui viennent du nord et de l’est du continent. Pour mettre le terrorisme à genoux, nous devons réfléchir au rétablissement du service militaire obligatoire, car la police, la gendarmerie et l’armée sont surmobilisées partout. Sur la question du fondamentalisme, la police doit mieux contrôler les imams et ne plus hésiter, sous le contrôle de la justice, à arrêter et expulser ceux qui prêchent la haine. En outre, les responsables musulmans doivent dire haut et fort leurs positions, signaler tous les individus déviants et ne plus entretenir la moindre ambiguïté avec l’islam radical. La période de l’après-guerre froide est finie. Nous sommes maintenant dans la terreur et le terrorisme de masse. C’est la guérilla qui arrive en France. Mais soyons réalistes, la solution n’est pas que policière ; elle est également politique et diplomatique, en liaison avec nos traditionnels alliés, l’Europe ainsi que les pays arabes.   Propos recueillis par Louis de Raguenel

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