RT AFRIQUE ET AFRICA CONNECT
Sujet : La CEDEAO doit-elle changer de logiciel ?…
Journaliste : Mme Samantha RAMSAMY
Invités :
- Dr Yves Ekoué AMAÏZO, économiste et Directeur de Afrocentricity Think Tank, un groupe de réflexion et d’action, www.afrocentricity.info.
- François Ndengwe, Rédacteur en Chef, Magazine les Hommes et Femmes d’Afrique, https://hommesdafrique.com/
Emission : Africa Connect
A/ CEDEAO – ONU
- Lors de son intervention à la tribune de l’ONU et suite au discours du Premier ministre par intérim malien, le Colonel Abdoulaye MAIGA à l’ONU, il faut constater que la CEDEAO a été malmenée ou recadré dans chacune de ses analyses. La tenue d’un sommet de la CEDEAO en marge de la 77ème assemblée de l’ONU à New York est-elle légitime ?
YEA. Merci pour l’invitation et bonjour à vos invités et téléspectateurs. Je pense qu’il ne faut pas être verser dans les interprétations du discours du représentant du Mali, encore moins dans les jugements de valeurs. La réunion de la CEDEAO en dehors de l’espace régional africain n’est pas illégitime car rien n’empêche d’avoir des réunions en marge de sommets africains ou internationaux.
Sur le recadrage de la CEDEAO, il convient de préciser que le s’agit d’abord d’un droit de réponses au Secrétaire général de l’ONU, Mr. Antonio Guterres, à la France du Président Emmanuel Macron, et au principaux dirigeants de la CEDEAO qui se sont appropriés l’institution régionale, puisque trois des représentants des pays membres de la CEDEAO (Mali, Guinée et Burkina-Faso) ont été exclus de la réunion de la CEDEAO en marge de la 77e Assemblée Générale de l’ONU à New-York le 22 et 23 septembre 2022. Si les pays qui veulent soutenir le Mali pour éradiquer le terrorisme dans le Sahel, la notion de subsidiarité sans l’Union africaine.
- Quel bilan faites-vous de l’organisation sous régionale dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens détenus au Mali ? Elle se rend à Bamako au moment où nous enregistrons l’émission.
YEA. A ce jour, le bilan est négatif pour le moment. Il faut bien constater que les médiations officielles et officieuses de la CEDEAO et de la France portant sur les 46 soldats ivoiriens n’ont rien donné, trois femmes avaient été libérées pour témoigner de la bonne volonté du Gouvernement malien.
- Peut-on parler de médiation équitable ou de parti pris de la part de la CEDEAO ?
YEA. En fait, il n’y a pas en réalité de médiation, mais d’injonctions des États qui défendent la position de la Côte d’Ivoire. La CEDEAO est juge et partie dans cette histoire. Le parti pris de la CEDEAO rappelle que cette organisation est irrespectueuse des procédures juridiques maliennes. En effet, le dossier est dans les mains de la justice malienne. La séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire maliens fonctionne à la différence justement des Etats qui prétendent offrir leur médiation. Au lieu de s’interroger sur la réaction d’un chef d’État si des individus armés avec des faux passeports débarquent sur leur sol sans autorisation, la CEDEAO a choisi la confrontation et le passage en force. Cela manque de sagesse et d’intelligence, et relève de la servitude s’il est avéré qu’il s’agit pour certains chefs d’État de s’aligner sur des positions de l’exécutif français.
- On imagine que la tenue d’un sommet de la CEDEAO à l’ONU sur ce dossier présente un intérêt pour la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara ?
YEA. La réponse est oui. Mais, le problème que vous posez est de savoir si un problème bilatéral entre deux pays (Mali et Côte d’Ivoire), doit être porté unilatéralement par l’un des pays au niveau de la CEDEAO, puis au niveau des Nations Unies, au point de voir le Secrétaire général de l’ONU faire des affirmations sans preuves alors qu’il existe une position écrite des Nations Unies sur le fait que les 49 militaires ne sont pas inscrits sur la liste des militaires faisant partis des contingents onusiens autorisés à agir sur le sol malien. Aussi, la question est de savoir pourquoi la France a influencé la Côte d’Ivoire pour opter pour une position niant les faits, alors qu’au départ, la Côte d’Ivoire avait commencé avait souhaité trouver un arrangement à l’amiable par des voies diplomatiques. La France a opté pour la confrontation en cherchant à réinstaurer des sanctions par procuration. Le problème est que personne en Afrique comme dans la Diaspora n’est dupe.
- Depuis la prise de pouvoir du Colonel Assimi Goïta, le torchon brûle entre Bamako et la CEDEAO mais aussi entre Bamako et la France Croyez-vous que le Premier ministre malien par intérim est un peu dans le vrai lorsqu’il évoque à la tribune de l’ONU le principe de mimétisme entre la CEDEAO et les instances internationales en l’occurrence ici l’ONU ?
YEA. Je ne crois rien, je constate. Il n’y a pas de mimétisme mais une déclaration, vraisemblablement sous influence de la France, du Secrétaire général de l’ONU devant les chaînes françaises de promotion de la France en Afrique. Antonio Guterres a choisi d’être un simple « secrétaire » et non un « général » et versé dans le sentimentalisme sans preuves en partageant ses croyances et non des certitudes. Soit il ne lit pas les rapports de ses services, soit il les ignore. Dans tous les cas de figures, il a choisi son camp et le Mali comme les pays africains en tiendront compte dans le niveau de crédibilité qui lui sera accordé dans le futur.
Par ailleurs, je constate que le représentant du Mali n’a fait que dire la vérité dans son discours lors de la 77e Assemblée générale de l’ONU.
En effet, Afrocentricity Think Tank que je dirige a procédé à des vérifications des affirmations et n’a pas trouvé d’inexactitudes, sauf peut-être le fait que le terme « Junte » n’a pas la même signification à Paris et à Bamako. Au Tchad comme au Mali, ce sont des militaires qui ont pris le pouvoir. La France a choisi de soutenir le coup d’État du Tchad et à contester celui du Mali. Mais plus grave, les dirigeants de la France et de la CEDEAO ont choisi de soutenir unilatéralement tous les coups d’État constitutionnels dans l’espace africain dès lors que les intérêts des uns et des autres sont préservés.
B – GUINÉE – AUTORITE DE LA CEDEAO DANS LE ROUGE
- La CEDEAO a annoncé une série de sanctions « progressives » à l’encontre des militaires au pouvoir en Guinée. On écoute cette réaction de Colonel Amara Camara, porte-parole de la présidence de la République de Guinée qui a fustigé l’actuel président en exercice de la CEDEAO, le président Bissau Guinée ÚMARO SISSOCO EMBALÓ qui a été traité de « Guignol ». En comparant la Guinée et le Mali, et au-delà de la personne du Général Embalo, l’autorité de la CEDEAO est mise à mal elle est dans le rouge ?
YEA. Je n’ai pas pour habitude de répondre par des considérations émotionnelles. Le rouge rappelle le carton rouge du football. On n’est pas sur un terrain de football et la CEDEAO n’est pas un arbitre mais a choisi son camp. La question que vous posez m’oblige à rappeler que la CEDEAO (Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest) a supprimé arbitrairement et en catimini, de manière anti-démocratique, le D de Développement qui était le véritable objectif des membres fondateurs de cette institution. Aussi, il y a un quiproquo qui pose problème. La CEDEAO n’a plus pour objectif d’avancer vers une CEDEAO des peuples et au service des Peuples, mais une CEDEAO au service des intérêts des chefs d’État, surtout ceux qui sont alignés sur les positions françaises ou occidentales.
- Que pensez-vous de ce mode de fonctionnement : imposer des sanctions pour légitimer son autorité ?
YEA : Il s’agit d’une gouvernance des autocrates et l’arbitraire, très éloignés du respect de la vérité et du droit. Les sanctions pour « légitimer » l’autorité de la CEDEAO n’ont eu pour le moment que de dévoiler la véritable nature de cette institution qui a été kidnappée par certains chefs d’État de la sous-région et servant de courroies de transmission à des intérêts étrangers, dont la France.
C / CEDEAO, UN CERCLE D’INTERETS ENTRE AMIS
- Le Président de la Guinée-Bissau et président en exercice de la CEDEAO Umaro Sissoco Embalo fait le choix de la continuité alors qu’à une certaine époque il fustigeait un cercle d’amis porté par des intérêts communs à l’époque où Alpha Condé était Président de la Guinée. Êtes-vous étonné par sa ligne de conduite ?
YEA. Non. Il faut vous renseigner pour savoir qui a financé l’accession au pouvoir de M. Embalo, qui l’a introduit dans les cercles ésotériques des chefs d’État et surtout qui a légitimé son élection bien avant que la Cour constitutionnelle ne se prononce… Bref, vous retrouverez des dirigeants africains et français. Comme l’ex-président Alpha Condé de Guinée qui se présentait comme le « chantre » des bonnes pratiques en politique, en économie et en matière électorale, chacun a pu mesurer le changement de 180 degrés, le grand écart, qu’il a pu opérer une fois au pouvoir. C’est donc le même réseau d’influence qui a promu le Président Embalo, comme d’ailleurs la plupart des présidents de la CEDEAO.
- Le général Embalo a lui-même subi une tentative de putsch dans son pays en février 2022. Une réaction ?
YEA : Il faudra savoir qui a contribué à le sauver. Car ce sont les mêmes qui lui demandent d’agir en leur faveur et contre les Peuples africains. Par contre, il faut reconnaître qu’il travaille sur l’influence de certains chefs d’État de la CEDEAO, de la France et du Secrétaire général de l’ONU.
- Voilà ce qu’il faut retenir un appel à la solidarité internationale face au terrorisme dans le Sahel comment vous interprétez cet appel ?
YEA : Venant de la part du Président en exercice de la CEDEAO, c’est un aveu d’échecs, de faiblesse et surtout d’invitation à la sous-traitance de la sécurité aux pays occidentaux. Car la Russie fait partie de la solidarité internationale et ne semble pas faire partie de son appel, sinon il n’aurait pas « grillé » sa fonction d’organisateur d’un consensus au profit de celui d’organisateur de clivage au sein de la CEDEAO.
- Le Général Embalo a montré qu’il n’était pas favorable aux longues périodes de transition mais dans le même temps certains diront que son discours sonne comme un aveu d’échec des pays de la CEDEAO à lutter efficacement contre le terrorisme et aussi si on prolonge contre le regain des coups d’états et des transitions à répétition ?
YEA. Ce que pense le Président en exercice de la CEDEAO n’a aucune importance. La question est de savoir si sa position représente la position consensuelle de la CEDEAO, une CEDEAO qui a exclu trois pays qui lutte contre le terrorisme. Les périodes de transition peuvent être calculée simplement en fonction de l’état d’avancement ou pas de la démocratie et du respect de la vérité des urnes et de la crédibilité et neutralité de la Cour constitutionnelle dans les pays de la CEDEAO. Or, si vous calculez les délais pour mettre en place ces structures, sans compter les retards liés aux attaques des terroristes qui ne sont pas que des Djihadistes, il apparaît que même les délais de 24 mois acceptés par le Mali pourrait ne pas être tenu compte tenu des interférences sécuritaires, et de la mauvaise foi des pays qui financent et arment des terroristes agissant pour le compte de pays occidentaux.
D/ LA CEDEAO DECONNECTEE DES POPULATIONS ?
- Selon le journaliste Baba Ahmed, depuis les sanctions imposées au Mali, la CEDEAO jouit d’une forte impopularité notamment au Mali. Dans quelle mesure paye-t-elle le prix d’une déconnexion avec les populations ?
YEA. La CEDEAO a choisi de défendre les chefs d’Etat qui eux-mêmes ont choisi majoritairement de servir les intérêts étrangers. Il n’est pas surprenant de constater que la déconnexion avec la population ne fait que s’accroitre. Le prix à payer risque d’être une scission au sein de la CEDEAO pour rediscuter les termes de la relation entre les États ou entre les Peuples.
- La CEDEAO concentre ses efforts sur le calendrier de la transition pour l’organisation d’élections le plus tôt possible est-ce compatible avec les demandes de réformes des populations ?
YEA. La réponse est non. La CEDEAO sait pertinemment qu’un délai de 6 mois exigé au départ et même de 24 mois avec le Mali risque de ne pas être tenable compte tenu des problèmes sécuritaires, et aussi de réorganiser des institutions judiciaires et électorales pour garantir un départ sur une base de souveraineté retrouvée.
- Accompagne-t-elle efficacement les transitions dans le cadre de ses médiations ?
YEA. La réponse est non. En fait, ses médiations sont destinées à satisfaire des intérêts étrangers et à installer au pouvoir des individus adeptes de coup d’État constitutionnels.
Je vous remercie.
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1er octobre 2022.
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur de Afrocentricity Think Tank
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
© Afrocentricity Think Tank.
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