07142025Headline:

ISRAEL-IRAN : LA FRAPPE QUI CHANGE LES REGLES.

FRAPPE  PREEMPTIVE ET DISSUASION AFFAIBLIE : ISRAEL CONTRE L’IRAN NUCLEAIRE.

 

La récente frappe préventive nucléaire menée par Israël contre des installations sensibles iraniennes marque une étape décisive dans le conflit Israël Iran, révélant une mutation profonde des doctrines militaires au Moyen-Orient. Cette opération, menée dans un contexte d’effondrement du cadre multilatéral, soulève des inquiétudes croissantes quant à une possible prolifération nucléaire au Moyen-Orient, avec en toile de fond le risque d’un basculement stratégique régional. Dans un monde où la dissuasion stratégique au XXIe siècle est mise à rude épreuve, l’usage croissant de drones, de cyberattaques et d’acteurs non étatiques

confirme l’ancrage durable de la guerre hybride régionale comme nouvelle norme sécuritaire.

  1. Introduction – Mise en contexte stratégique.

 

Dans la nuit de jeudi à vendredi, un nouvel épisode de haute intensité s’est ajouté  à la longue confrontation entre Israël et la République islamique d’Iran. Des frappes aériennes d’une rare précision ont visé plusieurs sites iraniens  jugés sensibles, notamment des installations nucléaires et des centres de commandement militaire. En parallèle, des assassinats ciblés ont été revendiqués ou attribués aux services israéliens contre des figures clés du complexe militaro-nucléaire iranien. L’Iran a annoncé la mort de quatre cadres des Gardiens de la Révolution et de ses forces armées : Hossein Salami, Mohammed Bagheri, Amirali Hadjizadeh et Gholam Ali Rachid, sans oublier les scientifiques liés à leur programme nucléaire. Cette action coordonnée marque une rupture stratégique : ce n’est plus une guerre de l’ombre, mais un passage à une confrontation directe entre deux États aux ambitions irréconciliables.

 

Si cette offensive a pris par surprise une partie de la communauté internationale, elle ne constitue en réalité que l’aboutissement d’un enchaînement d’événements régionaux et globaux. La dislocation progressive du dispositif régional iranien au Levant en est un signal clair. Après l’affaiblissement du Hamas dans la bande de Gaza, la mise hors-jeu de plusieurs dirigeants majeurs du Hezbollah au Liban Sud, et surtout la chute du régime syrien de Bachar el- Assad, pilier de la profondeur stratégique iranienne dans  la région, Téhéran se retrouve progressivement encerclé, privé de ses relais traditionnels et confronté à un isolement opérationnel inédit.

 

Sur le plan nucléaire, le seuil d’alerte est également franchi. Le programme iranien d’enrichissement d’uranium dépasse désormais 45 fois le taux autorisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cette dernière, dont les dirigeants sont désormais ouvertement critiqués par l’Iran comme étant partiaux et sous influence occidentale, dénonce un manque de coopération grave et répété. Téhéran semble désormais aux portes du statut de puissance nucléaire de seuil — situation inacceptable pour Israël, qui voit dans cette évolution un point de bascule stratégique irréversible.

 

La réaction israélienne trouve ainsi son fondement dans  une double lecture de l’environnement stratégique : d’une part, la nécessité de maintenir sa supériorité militaire régionale acquise depuis les années 1960 ; d’autre part, l’anticipation d’un changement d’équilibre qui verrait l’Iran imposer une dissuasion symétrique, transformant la région en un espace de multipolarité nucléaire instable. En toile de fond, c’est aussi l’ordre de sécurité régional façonné après la guerre de 1973 qui est remis en cause.

 

Mais ce n’est pas seulement Israël qui s’inquiète. Derrière les condamnations diplomatiques de façade, plusieurs monarchies du Golfe — Arabie Saoudite, Jordanie, Qatar — participent discrètement à la coordination sécuritaire avec l’État hébreu, notamment dans  l’interception de missiles ou de drones tirés en représailles par l’Iran. Cette  duplicité régionale révèle un fait stratégique essentiel : une part croissante du monde arabe sunnite préfère désormais un Iran affaibli à un Iran nucléaire dominant, quitte à coopérer indirectement avec Israël.

 

À l’échelle internationale, cette crise s’inscrit dans un moment de fragmentation du système mondial, déjà éprouvé par la guerre en Ukraine, les tensions croissantes en mer de Chine et l’émergence de coalitions anti-occidentales plus affirmées. L’usage croissant de drones pour cibler des infrastructures stratégiques — qu’il s’agisse de bombardiers russes par l’Ukraine ou de centres nucléaires iraniens par Israël — semble annoncer une ère nouvelle, où la dissuasion classique s’effrite face à des tactiques hybrides, technologiques, et difficilement attribuables.

 

Dès lors, plusieurs interrogations s’imposent :

 

  • Cette offensive israélienne constitue-t-elle une opération ponctuelle ou le

déclenchement d’un cycle d’escalade incontrôlable ?

 

  • Jusqu’où l’Iran est-il prêt à aller pour sanctuariser son territoire — y compris par un essai nucléaire ?

 

  • Quels rôles joueront  les puissances comme les États-Unis, la Russie, la Chine, voire le

Pakistan dans  la gestion — ou la polarisation — de cette crise ?

 

  • Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle guerre régionale  aux conséquences globales, ou

déjà dans  une conflagration mondiale fragmentée ?

 

L’objectif de cet article est de fournir une analyse stratégique détaillée de cette séquence, en articulant les dynamiques régionales à la tectonique du système international, en exposant les logiques militaires et les postures diplomatiques, et en projetant les scénarios d’évolution de cette crise à haute intensité dont l’onde de choc pourrait remodeler durablement l’ordre mondial.

 

  1. L’opération israélienne : une frappe stratégique préemptive.

 

L’opération israélienne lancée jeudi contre les infrastructures sensibles iraniennes marque un tournant dans la doctrine militaire de l’État hébreu. Il ne s’agit plus d’actions d’entrave ponctuelles ou de sabotage dissimulé, mais d’une offensive coordonnée, multidomaine et à visée stratégique, visant à briser une dynamique de puissance jugée existentielle. L’attaque — à la fois cinétique et asymétrique — s’inscrit dans  une logique de frappe préemptive, inscrite dans  la doctrine sécuritaire israélienne depuis plusieurs décennies, mais rarement appliquée de manière aussi massive et directe contre l’Iran.

 

Une doctrine fondée sur la préemption : la continuité de la « doctrine Begin ».

 

La doctrine militaire israélienne repose sur un principe fondamental : empêcher par tous les

moyens qu’un ennemi régional n’acquière une capacité nucléaire. Formulée dès les années

1980 par le Premier ministre Menahem Begin, cette doctrine avait justifié la destruction du réacteur nucléaire irakien Osirak en 1981 (opération Opera), puis, plus récemment, la frappe contre le réacteur syrien d’Al-Kibar en 2007 (opération Orchard).

 

Dans le cas iranien, l’application de cette doctrine a longtemps pris des formes indirectes : cyberattaques (comme Stuxnet), assassinats ciblés de scientifiques, sabotages internes, collaboration secrète avec des groupes d’opposition, ou coopération discrète avec des puissances étrangères (États-Unis, monarchies du Golfe). L’attaque de cette semaine représente un changement d’échelle : l’État d’Israël assume désormais une confrontation directe, en plein jour, sur le territoire iranien.

 

Objectifs militaires et stratégiques : neutralisation, dissuasion, signal politique

 

Les frappes ont visé plusieurs cibles, toutes à haute valeur stratégique :

 

  • Centrales d’enrichissement d’uranium dans les régions de Natanz et Fordo ;

 

  • Centres de commandement et de coordination militaire liés au programme balistique et nucléaire ;

 

  • Installations de recherche et développement supervisées par les Gardiens de la

Révolution ;

 

  • Assassinats ciblés de hauts gradés du programme nucléaire et balistique iranien.

 

L’objectif immédiat est clair : désorganiser la chaîne de production, de décision et de commandement du programme nucléaire iranien. Mais au-delà, l’opération envoie un message stratégique explicite : Israël est prêt à utiliser la force préventive sur le territoire de son ennemi, y compris en prenant le risque d’une escalade.

 

Une frappe calibrée mais calculée : entre maîtrise tactique et audace stratégique

 

Contrairement à une opération d’anéantissement total, les frappes ont été ciblées, sélectives et limitées dans le temps. Cela indique que Tel-Aviv cherche moins à détruire tout le programme nucléaire iranien (ce qui est militairement difficile, voire impossible) qu’à :

 

  • Créer un effet de retard technologique suffisant pour repousser l’échéance du seuil

nucléaire ;

 

  • Tester la capacité de riposte iranienne dans un contexte régional défavorable à

Téhéran ;

 

  • Forcer les acteurs internationaux (USA, Europe, Russie, Chine) à prendre position

sur la nature du programme iranien et sur le droit d’Israël à l’autodéfense préventive.

 

On note également la coordination avec des opérations non conventionnelles : cyberattaque sur les systèmes de communication iraniens, brouillage de radars, utilisation de drones furtifs, sabotage interne présumé. Cette  combinaison démontre la capacité israélienne à projeter une puissance multidimensionnelle, intégrant des moyens humains, cybernétiques, technologiques et psychologiques.

 

Une fenêtre d’opportunité stratégique exploitée.

 

Israël a agi dans  une fenêtre de vulnérabilité tactique et stratégique iranienne :

 

  • L’Iran est affaibli régionalement : ses relais en Syrie, au Liban et à Gaza sont neutralisés

ou affaiblis.

 

  • Sur le plan interne, la République islamique fait face à une crise économique grave, à une contestation sociale persistante, et à une fragilisation de la cohésion des élites.

 

  • Sur le plan international, l’Iran est isolé diplomatiquement, tandis qu’Israël bénéficie d’un soutien plus ou moins tacite des États-Unis, des monarchies du Golfe et de certaines capitales européennes.

 

Autrement dit, cette frappe ne répond pas à une urgence ponctuelle, mais découle d’un calcul stratégique froid et opportuniste : c’est le moment où l’Iran est le moins capable de répondre efficacement, militairement et diplomatiquement.

 

Vers une rupture des équilibres ? Une prise de risque assumée.

 

Cette opération comporte néanmoins un risque d’escalade majeur. Une frappe directe contre des cibles stratégiques sur le sol iranien est perçue comme une atteinte à la souveraineté nationale qui pourrait justifier une riposte asymétrique ou conventionnelle, voire la sortie définitive de l’Iran du cadre du TNP. Mais Israël semble avoir fait le pari que :

 

  1. L’Iran ne peut pas se permettre une guerre ouverte ;

 

  1. Le choc stratégique provoqué par cette action va rebattre les cartes diplomatiques ;

 

  1. La puissance dissuasive d’Israël, y compris nucléaire, suffira à contenir une escalade

immédiate.

 

Cette frappe n’est donc pas seulement militaire. Elle est politique, diplomatique, et psychologique. Elle vise à redéfinir les règles du jeu au Moyen-Orient, à repositionner Israël comme acteur stratégique déterminant, et à forcer les puissances mondiales à reconnaître une réalité nouvelle : la question nucléaire iranienne est désormais sortie du cadre diplomatique classique.

 

  1. L’Iran en position défensive : réaction, calculs et limites.

 

La riposte iranienne à la frappe israélienne de grande ampleur sur ses sites nucléaires et militaires ne s’est pas faite attendre. L’État-major des Gardiens de la Révolution islamique (GRI) a rapidement activé plusieurs vecteurs asymétriques : salves de drones kamikazes, missiles balistiques de portée intermédiaire, mobilisation de ses proxys résiduels dans  la région. Mais cette réaction, bien que virulente sur le plan symbolique, s’inscrit dans un cadre de contrainte stratégique sévère. L’Iran, malgré ses démonstrations de force, se trouve aujourd’hui en position défensive, prisonnier d’un dilemme entre escalade et survie politique.

 

Une riposte immédiate, mais calibrée.

 

Le lancement de drones et de missiles iraniens vers Israël et certaines bases alliées au Moyen- Orient (Irak, Syrie, golfe Persique) traduit la volonté de réaffirmer la capacité de nuisance de Téhéran. Toutefois, plusieurs éléments suggèrent que cette riposte reste délibérément limitée :

 

  • Interceptions coordonnées par les systèmes de défense israéliens (Dôme de fer, Fronde de David), mais aussi saoudiens, jordaniens et qataris, démontrant l’encerclement opérationnel de l’Iran.

 

  • Ciblage peu efficace, laissant supposer que l’objectif était autant politique (montrer

une réponse) que militaire (éviter une escalade massive).

 

  • Absence d’engagement naval majeur dans le détroit d’Ormuz, ce qui aurait constitué

une provocation directe au commerce mondial.

 

Téhéran choisit donc une posture de riposte contrôlée : éviter de perdre la face à l’intérieur, tout en ne franchissant pas le seuil qui provoquerait une réponse israélo-américaine plus dévastatrice encore.

 

Un programme nucléaire résilient mais désormais vulnérable.

 

Sur le plan technique, le programme nucléaire iranien a subi un revers significatif. Bien que l’Iran ait investi dans la redondance de ses installations (sites souterrains, dispersés, protégés), les frappes israéliennes ont visé des nœuds critiques :

 

  • Centres de traitement de l’uranium enrichi ;

 

  • Laboratoires de R&D sur les têtes miniaturisées ;

 

  • Réseaux de commandement scientifique.

 

Résultat : le programme, bien que non détruit, est ralenti, désorganisé, partiellement

aveuglé. Surtout, cette attaque a exposé ses failles en matière de sécurité interne : infiltration

 

de renseignements, vulnérabilité cyber, défaillance dans  la coordination des défenses antiaériennes.

 

Ce revers pourrait, paradoxalement, pousser le régime à accélérer un essai nucléaire comme moyen de sanctuarisation définitive, à l’image de ce qu’ont fait le Pakistan ou la Corée du Nord dans des contextes de pression stratégique maximale.

 

Le dilemme stratégique iranien : escalader ou survivre.

 

L’Iran fait désormais face à un choix cornélien :

 

  • Escalader militairement, avec le risque d’un effondrement de son appareil militaire

sous des frappes israélo-américaines coordonnées ;

 

  • Opter pour la patience stratégique, en renforçant ses capacités de résilience intérieure, en attendant une éventuelle fracture du front adverse (élections américaines, tensions internes en Israël, dissensions arabes).

 

Dans ce contexte, Téhéran semble réactiver sa stratégie asymétrique traditionnelle, en mobilisant :

 

  • Les milices chiites en Irak et en Syrie pour harceler les forces américaines et israéliennes ;

 

  • Les Houthis du Yémen pour menacer les voies maritimes du golfe d’Aden ;

 

  • Les réseaux d’influence en Afrique et en Amérique latine pour détourner l’attention.

 

Mais ces leviers sont affaiblis, surveillés et partiellement neutralisés. Le Hezbollah, principal bras armé extérieur, est décimé. Le régime syrien, longtemps allié de Téhéran, est désormais instable et non fiable. Et le soutien populaire à la cause iranienne dans le monde arabe est en net recul, notamment depuis la répression interne du mouvement des femmes iraniennes.

 

Limites internes et vulnérabilités structurelles.

 

Sur le plan intérieur, l’Iran est confronté à des limites croissantes :

 

  • Économie exsangue, aggravée par les sanctions occidentales, la fuite des capitaux et

l’isolement bancaire.

 

  • Contestations sociales récurrentes, nourries par la jeunesse urbaine, les minorités ethniques (Kurdes, Baloutches) et les femmes.

 

  • Fatigue des élites religieuses et technocratiques, divisées entre partisans d’une radicalisation et tenants d’un compromis pragmatique.

 

Ce climat intérieur délétère réduit les marges de manœuvre du régime, qui doit constamment arbitrer entre consolidation autoritaire et démonstration de force à l’international. Toute erreur d’appréciation pourrait provoquer une explosion sociale ou un coup d’État institutionnel, scénario redouté mais désormais évoqué dans certains cercles.

 

Une surveillance internationale accrue, une légitimité contestée.

 

Enfin, cette situation replace l’Iran sous le feu des projecteurs internationaux. Plusieurs conséquences :

 

  • Réactivation du dossier iranien au Conseil de sécurité de l’ONU, avec des résolutions pressantes pour un retour aux inspections.

 

  • Éventuel réarmement juridique des sanctions, y compris par des États réticents jusque-là (Russie, Chine), si un essai nucléaire était confirmé.

 

  • Perte de légitimité régionale : même des États historiquement hostiles à Israël rechignent aujourd’hui à soutenir un Iran perçu comme facteur de désordre plus que comme pôle de résistance.

 

Conclusion intermédiaire.

 

L’Iran se retrouve ainsi dans  une position stratégique paradoxale :

 

  • Plus menaçant que jamais aux yeux de ses adversaires ;

 

  • Plus vulnérable que jamais sur les plans militaire, économique et diplomatique.

 

Sa capacité à rétablir l’initiative dépendra de sa faculté à éviter la guerre totale, à reconfigurer sa stratégie asymétrique, et à trouver un levier symbolique fort — comme un essai nucléaire, qui lui permettrait d’imposer un nouveau statu quo, à très haut risque.

 

 

 

  1. Postures régionales : duplicité, coordination tacite et jeux d’équilibres

 

Dans le tumulte provoqué par la frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires et militaires iraniennes, la réaction des puissances régionales du Moyen-Orient mérite une attention particulière. Si les condamnations officielles ont afflué des principales capitales arabes, elles contrastent fortement avec des signaux de coordination militaire implicite, voire de soutien opérationnel indirect à l’offensive israélienne. Cette  ambiguïté illustre la duplicité stratégique qui caractérise aujourd’hui les équilibres moyen-orientaux : entre solidarité religieuse affichée, intérêts de sécurité vitaux, rivalités inter-musulmanes et recalibrage diplomatique, les États arabes naviguent dans  une zone grise d’alliances fluctuantes.

 

Condamnation officielle, soutien officieux : une hypocrisie calculée.

 

Les premières heures ayant suivi l’attaque israélienne ont vu se succéder des communiqués de condamnation émis par la Ligue arabe, l’Organisation de la coopération islamique (OCI), et des États comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Jordanie ou encore le Koweït. Ces déclarations, aux formulations prudentes mais hostiles à « toute  atteinte à la souveraineté d’un pays musulman frère », avaient pour objectif principal de préserver une façade de cohésion panislamique et

de désamorcer la pression de leurs opinions publiques.

 

Mais dans  les faits, plusieurs indicateurs convergents laissent apparaître une réalité tout autre :

 

  • Participation active de batteries anti-aériennes jordaniennes et saoudiennes à l’interception des missiles balistiques iraniens lancés en représailles, en coordination avec les dispositifs israéliens et américains ;

 

  • Ouverture discrète de couloirs aériens ou de renseignements à des avions ou drones israéliens à travers certains espaces aériens du Golfe ;

 

  • Silence volontaire de certains médias d’État, signe d’un consensus tactique au

sommet des appareils sécuritaires.

 

Ces éléments traduisent une acceptation implicite — voire un appui discret — à l’initiative israélienne, perçue par ces régimes sunnites comme une opération de délestage stratégique contre un adversaire commun : la République islamique d’Iran, puissance chiite et révolutionnaire, perçue comme subversive et expansionniste.

 

Arabie Saoudite : entre réforme intérieure et ligne rouge iranienne.

 

Le cas de Riyad est emblématique de cette duplicité. Officiellement, le royaume condamne l’attaque israélienne et appelle à la retenue. Officieusement, l’Arabie Saoudite considère la neutralisation du programme nucléaire iranien comme une nécessité existentielle. Plusieurs facteurs l’expliquent :

 

  • Une rivalité géopolitique structurelle entre les deux puissances régionales pour

l’hégémonie du monde musulman ;

 

  • La crainte que l’Iran nucléaire impose un chantage permanent aux monarchies du

Golfe ;

 

  • La volonté du prince héritier Mohammed ben Salmane de préserver le chantier de modernisation intérieure (Vision 2030) d’une déstabilisation régionale majeure.

 

En réalité, Riyad redoute autant une Iran nucléarisée qu’un embrasement incontrôlable. Le soutien discret à Israël s’inscrit donc dans  une logique de guerre limitée, à portée contenue. Si Téhéran venait à franchir le seuil nucléaire, l’Arabie Saoudite — selon plusieurs sources — envisagerait l’acquisition rapide de l’arme nucléaire via le Pakistan, un partenaire stratégique de longue date.

 

Qatar : entre diplomatie de l’équilibre et soutien utilitaire aux islamistes.

 

Le Qatar occupe une position plus ambiguë encore. Protecteur du Hamas et soutien régulier de l’Iran sur certaines tribunes internationales, Doha se pose en médiateur régional, tout en jouant sur plusieurs tableaux :

 

  • Hébergement de dirigeants du Hamas et relais diplomatique officieux avec l’Iran ;

 

  • Présence d’une base américaine majeure sur son sol (Al-Udeid) ;

 

  • Coopération croissante avec Israël dans des domaines techniques (gaz, transport, cybersécurité).

 

Dans ce dossier, le Qatar cherche à capitaliser sur sa capacité d’intermédiation, espérant apparaître comme indispensable dans toute sortie de crise. Il pourrait ainsi être l’un des facilitateurs d’une négociation informelle, tout en cautionnant tacitement l’affaiblissement de l’Iran pour préserver son propre espace d’autonomie régionale.

 

Jordanie et Égypte : la stabilité avant la solidarité.

 

La Jordanie, comme l’Égypte, adopte une posture plus explicite : celle de la stabilité régionale comme impératif absolu. Les deux États, historiquement en paix avec Israël et en coopération sécuritaire étroite avec Washington, ont tout intérêt à éviter une nucléarisation de l’Iran, qui pourrait :

 

  • Déclencher une course aux armements dans la région ;

 

  • Mettre en péril l’équilibre fragile avec les Frères musulmans ou autres groupes

islamistes radicaux ;

 

  • Perturber les flux énergétiques et touristiques indispensables à leurs économies.

 

Les forces armées jordaniennes ont ainsi participé à l’interception de missiles iraniens en collaboration avec Israël et les États-Unis. Le Caire, de son côté, bien que discret, partage les préoccupations sécuritaires de Tel-Aviv et cherche à maintenir un front commun discret contre une potentielle réémergence des Frères musulmans soutenus par Téhéran via Gaza ou le Soudan.

 

Turquie : une puissance médiane tiraillée entre ambitions et contradictions

 

La Turquie d’Erdogan adopte une stratégie d’ambiguïté active. Si Ankara a publiquement dénoncé l’attaque israélienne comme « dangereuse et irresponsable », elle n’a ni rompu ses relations diplomatiques avec Israël, récemment rétablies, ni suspendu ses coopérations économiques.

 

La position turque est dictée par des intérêts conflictuels :

 

  • Soutien historique aux Frères musulmans et sympathie tactique envers Téhéran ;

 

  • Volonté de s’imposer comme puissance médiatrice dans les conflits régionaux ;

 

  • Peur d’un Iran nucléaire qui affaiblirait l’influence turque sur l’Asie centrale et les

Balkans.

 

En réalité, la Turquie cherche à capitaliser sur la crise pour renforcer son image d’acteur pivot,

tout en limitant l’Iran et Israël dans leur ascension respective.

 

Vers un axe anti-iranien informel ?

 

La convergence des intérêts israéliens, saoudiens, égyptiens, jordaniens, émiratis et américains autour de la neutralisation du programme nucléaire iranien laisse entrevoir la formation d’un axe de sécurité régionale informel, fondé sur :

 

  • Une menace commune : l’Iran nucléaire et ses proxys ;

 

  • Une coordination militaire discrète mais réelle ;

 

  • Une diplomatie parallèle d’apaisement maîtrisé.

 

Cette dynamique, amorcée avec les Accords d’Abraham, semble désormais entrer dans une nouvelle phase : la coopération stratégique ad hoc contre un adversaire commun, sans nécessairement passer par des alliances formelles. C’est un nouvel équilibre de sécurité en gestation, instable mais structurant.

 

  1. Reconfiguration globale : un nouveau théâtre dans un monde multipolaire.

 

L’attaque israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes ne peut être analysée uniquement sous l’angle régional. Elle s’inscrit dans  un processus plus large de recomposition de l’ordre stratégique mondial, dans lequel la multipolarité conflictuelle supplante progressivement les structures héritées de l’après-Guerre froide. Ce conflit n’est pas un simple

 

contentieux bilatéral entre Israël et l’Iran : il devient un théâtre d’affrontement indirect entre blocs rivaux, dans un contexte de déséquilibre du système international, où les lignes rouges sont floues, les alliances mouvantes, et les modes d’action hybrides.

 

Du bilatéralisme à la multipolarité conflictuelle.

 

Depuis la fin de la Guerre froide, les interventions militaires majeures étaient souvent conduites ou validées par une coalition occidentale structurée, autour des États-Unis, avec une légitimité politique (Conseil de sécurité) ou morale (lutte contre le terrorisme, non-prolifération). Ce schéma s’effondre.

 

Aujourd’hui, plusieurs puissances régionales ou mondiales mènent des actions unilatérales ou en coalition réduite, hors cadre onusien, selon une logique d’intérêt national assumé :

 

  • Israël frappe l’Iran sans en référer à la communauté internationale ;

 

  • LUkraine utilise ses drones pour frapper les bases aériennes stratégiques russes, en profondeur ;

 

  • La Turquie opère en Irak et en Syrie contre les Kurdes, sans mandat ;

 

  • La Chine maintient une pression constante sur Taïwan, en dehors de tout arbitrage.

 

Dans ce contexte, l’opération israélienne s’apparente à une nouvelle norme stratégique émergente : frapper préventivement, de manière ciblée, en dehors des logiques diplomatiques classiques, mais avec l’appui implicite ou discret de puissances tierces.

 

Le précédent ukrainien : frappes de drones et désacralisation de la profondeur stratégique.

 

Les similitudes avec le conflit russo-ukrainien sont éclairantes. L’Ukraine, en attaquant des bases russes hébergeant des bombardiers stratégiques (Tu-95, Tu-160), a franchi un seuil symbolique : la projection de puissance à longue distance par des moyens asymétriques (drones, sabotages, cyber) contre un adversaire disposant de l’arme nucléaire.

 

Israël reprend ce mode opératoire offensif, technologiquement avancé, mais politiquement ambigu :

 

  • Ciblage chirurgical, pour éviter une guerre ouverte ;

 

  • Usage combiné de drones, cyber-opérations, missiles guidés ;

 

  • Communication mtrisée, laissant place à une ambiguïté stratégique (revendication partielle, silence médiatique, fuite contrôlée).

 

Ce parallèle met en lumière la crise contemporaine de la dissuasion classique : l’existence d’un arsenal nucléaire n’empêche plus les frappes en profondeur, tant que l’agression reste « maîtrisée », plausible, ou niée. C’est une évolution dangereuse pour la stabilité mondiale, car elle abaisse le seuil de l’emploi de la force, tout en rendant l’attribution difficile, donc la réponse incertaine.

 

Israël et l’Occident : vers une convergence de doctrine sécuritaire.

 

Israël, en frappant l’Iran, agit dans  une logique d’autonomie stratégique, mais dans  une

consonance doctrinale croissante avec les puissances occidentales. Les États-Unis, même

 

s’ils appellent publiquement à la retenue, partagent l’analyse israélienne sur le danger d’un Iran nucléaire. L’administration américaine, bien que prudente, n’a ni condamné, ni empêché l’opération, et les forces américaines stationnées au Moyen-Orient ont coordonné la défense contre les représailles iraniennes.

 

Cette opération renforce également :

 

  • Laxe de coopération militaire Israël–USA, notamment en matière de défense antimissile, de renseignement et de logistique.

 

  • La légitimité israélienne comme puissance de première frappe dans la région, capable de conduire seule des actions de grande envergure, avec une efficacité éprouvée.

 

Dans ce sens, Israël devient non seulement un allié opérationnel, mais aussi un modèle tactique, notamment pour les pays européens confrontés à la nécessité de repenser leur propre posture de dissuasion dans  un monde où la guerre hybride est devenue la norme.

 

Russie, Chine, Iran : l’autre camp.

 

Face à cette dynamique, un autre pôle de puissance se dessine, dans lequel l’Iran est à la fois

un pivot idéologique et un outil stratégique.

 

  • La Russie, engagée en Ukraine, voit dans l’Iran un fournisseur de drones, mais aussi un partenaire stratégique contre l’OTAN. Elle a condamné les frappes israéliennes, tout en se gardant d’une implication directe.

 

  • La Chine, dépendante du pétrole iranien et soucieuse de sa route de la soie, cherche à préserver une stabilité minimale, tout en dénonçant les actions israéliennes comme « irresponsables ».

 

  • La Corée du Nord et désormais le Pakistan, nourrissent une logique d’alignement tactique avec Téhéran sur fond de rejet de l’ordre libéral occidental, d’autant plus que les tensions indo-pakistanaises récentes offrent un prétexte à Islamabad pour s’inviter dans le jeu nucléaire moyen-oriental.

 

Ce bloc oppose au monde occidental une vision alternative des rapports de force, fondée sur la légitimité révolutionnaire, la souveraineté absolue, et le droit des « puissances émergentes » à accéder à l’arme nucléaire.

 

Vers un ordre mondial éclaté : la fragmentation en théâtres autonomes.

 

La crise israélo-iranienne consacre un phénomène désormais observable à l’échelle globale : l’éclatement de l’ordre stratégique mondial en théâtres autonomes, où les conflits ne sont plus contenus par une instance régulatrice unique (ONU, grandes puissances), mais gérés — ou prolongés — par des coalitions fluctuantes.

 

Trois caractéristiques dominent ce nouvel ordre :

 

  1. L’individualisation de la force : chaque État, selon sa perception de menace, se dote des moyens de frapper seul.

 

  1. La coexistence de conflits gelés, ouverts ou hybrides, interconnectés mais non

régulés (Ukraine, Gaza, Taïwan, mer de Chine, Yémen, Sahel…).

 

  1. La dilution du droit international, incapable d’endiguer les frappes préemptives, les assassinats ciblés ou l’usage des nouvelles armes (cyber, drones, satellites…).

 

La frappe israélienne contre l’Iran n’est donc pas un épisode isolé, mais un symptôme de la mutation profonde des rapports de puissance, où la capacité de projection rapide, la supériorité technologique et l’audace stratégique priment sur les cadres normatifs classiques.

 

 

 

  1. Scénarios d’évolution stratégique (Prospective à court et moyen terme).

 

À la lumière de la frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires iraniennes et des tensions géopolitiques qui en découlent, plusieurs trajectoires d’évolution sont envisageables à court et moyen terme. Ces scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs : certains peuvent se chevaucher, s’enchaîner ou se combiner selon les dynamiques régionales, les calculs des grandes puissances et les choix internes des acteurs centraux. Ce chapitre propose une analyse prospective structurée autour de quatre scénarios majeurs, chacun comportant ses logiques, ses implications, et ses risques systémiques.

 

Scénario 1 : Essai nucléaire iranien – sanctuarisation par la terreur. Logique stratégique :

Dans un contexte d’affaiblissement régional et de pression militaire directe, l’Iran pourrait

estimer qu’un essai nucléaire souterrain — même au mépris du Traité de non-prolifération (TNP) — représente la seule garantie de sanctuarisation stratégique. Suivant une logique comparable à celle du Pakistan en 1998 ou de la Corée du Nord, Téhéran franchirait  ainsi le seuil symbolique et militaire de la dissuasion nucléaire.

 

Déclencheurs :

 

  • Crainte d’une seconde frappe israélienne plus massive.

 

  • Échec des tentatives de médiation ou de négociation.

 

  • Affaiblissement interne nécessitant un sursaut de légitimité.

 

Conséquences :

 

  • Choc stratégique global : effondrement du régime de non-prolifération au Moyen- Orient.

 

  • Course nucaire régionale : Arabie Saoudite, Égypte et Turquie accélèrent leurs propres programmes.

 

  • Réactivation des sanctions internationales et possible isolement total de l’Iran.

 

  • Risque de frappe préventive américaine ou israélienne, cette fois d’ampleur massive,

pour neutraliser les capacités restantes. Scénario 2 : Conflit régional limité mais intense. Logique stratégique :

 

Israël et l’Iran s’affrontent indirectement par le biais de frappes ponctuelles, attaques de drones, cyber opérations et actions de leurs proxys. L’objectif pour les deux camps est d’user l’adversaire sans franchir le seuil d’une guerre totale.

 

Déclencheurs :

 

  • Représailles croisées après des frappes ciblées.

 

  • Attaque majeure contre une infrastructure civile (raffinerie, port, centrale électrique).

 

  • Attentat attribué à un proxy soutenu par l’un ou l’autre camp.

 

Tâtres d’opération :

 

  • Liban Sud (reprise d’activités du Hezbollah résiduel).

 

  • Irak et Syrie (milices chiites contre forces US ou israéliennes).

 

  • Golfe Persique et détroit d’Ormuz (menace sur la navigation commerciale).

 

Conséquences :

 

  • Perturbation des flux énergétiques.

 

  • Renforcement de la coopération sécuritaire israélo-arabe.

 

  • Mobilisation accrue des flottes occidentales (notamment US Navy).

 

  • Maintien d’une instabilité chronique, mais sans basculement global.

 

Scénario 3 : Guerre ouverte Israël–Iran. Logique stratégique :

Ce scénario se concrétise si une action perçue comme une ligne rouge est franchie : par

exemple, une frappe directe contre des cibles civiles à Téhéran, ou une attaque iranienne de grande ampleur sur Tel-Aviv ou Dimona. Les deux États entreraient alors dans un conflit conventionnel de haute intensité, avec recours aux missiles longue portée, drones armés, forces spéciales et cyberattaques généralisées.

 

Déclencheurs :

 

  • Révélation d’un essai nucléaire ou d’une capacité opérationnelle iranienne.

 

  • Frappes israéliennes trop destructrices ou mal calibrées.

 

  • Implication directe d’un allié tiers (USA, Hezbollah, Russie).

 

Conséquences :

 

  • Destruction partielle des infrastructures clés des deux pays.

 

  • Usage de capacités militaires non déclarées (ex : sous-marins, systèmes antisatellites).

 

  • Risque de débordement vers les pays voisins (Irak, Syrie, Jordanie).

 

  • Mobilisation possible des grandes puissances, avec risque d’affrontements croisés (ex :

implication russe, turque ou américaine).

 

Ce scénario pourrait marquer un changement d’échelle historique, avec le retour d’une guerre

interétatique « classique » en plein Moyen-Orient.

 

Scénario 4 : Conflagration globale fragmentée – vers une guerre mondiale non déclarée. Logique stratégique :

L’enchevêtrement des crises (Ukraine, Taïwan, Israël-Iran, mer Rouge, Sahel) mène à une

fragmentation de la conflictualité mondiale. On ne parle plus de troisième guerre mondiale au sens classique, mais d’un état de guerre global diffus, où chaque région est le théâtre d’affrontements locaux, instrumentalisés par les grandes puissances.

 

Déclencheurs :

 

  • Synchronisation de plusieurs conflits en parallèle (offensive chinoise sur Taïwan, offensive russe en Ukraine, essai nucléaire iranien).

 

  • Extension des alliances militaires informelles : Chine–Russie–Iran–Corée du Nord vs

USA–OTAN–Israël–alliés arabes.

 

  • Effondrement ou neutralisation des institutions multilatérales (ONU paralysée, AIEA

discréditée, OMC contournée).

 

Conséquences :

 

  • Hyper-fragmentation du système international, avec une géopolitique de blocs, voire de villes-forteresses.

 

  • Course globale aux armements, relance du nucléaire tactique, prolifération incontrôlée.

 

  • Impact économique majeur : déstabilisation des marchés, explosion du coût de

l’énergie, pression migratoire sans précédent.

 

Ce scénario représente le point de convergence le plus dangereux  : un monde instable, multipolaire, sans règle commune, où la guerre est redevenue un outil politique admis et non encadré.

 

Évaluation comparative des scénarios (Résumé prospectif).

 

Scénario

 

Probabilité (CT)

Gravité

(MT)

 

Commentaire stratégique

1. Essai nucléaire iranien Moyenne Très élevée Potentiel de basculement global
2. Conflit régional limité Élevée Moyenne Le plus probable à court terme
 

3. Guerre ouverte Israël–Iran

Faible à moyenne  

Élevée

 

Risque si escalade mal maîtrisée

4. Conflagration globale fragmentée  

Faible (CT)

 

Extrême

Risque systémique latent et croissant

 

 

  1. Implications économiques et sécuritaires globales.

 

Au-delà des considérations militaires et géopolitiques, l’escalade entre Israël et l’Iran porte en germe une série de répercussions profondes sur les plans économique et sécuritaire, tant à l’échelle régionale que mondiale. Dans un système international déjà fragilisé par la guerre en Ukraine, les tensions sino-américaines et l’instabilité de plusieurs zones stratégiques, une crise durable au Moyen-Orient serait de nature à aggraver les fractures systémiques existantes, notamment en matière d’énergie, de logistique, de sécurité maritime et de stabilité des marchés financiers.

 

Énergie : le pétrole comme première victime.

 

Le Moyen-Orient demeure le cœur énergétique du globe, représentant plus de 30 % de la production mondiale de pétrole brut et une large part du gaz naturel liquéfié (GNL). L’Iran, bien que sous sanctions, exporte clandestinement d’importants volumes  vers la Chine et d’autres clients asiatiques. Quant aux monarchies du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats, Koweït), elles sont les piliers du marché mondial du brut.

 

Risques majeurs :

 

  • Fermeture temporaire ou blocage du détroit d’Ormuz : 20 % du pétrole mondial transite par ce corridor maritime ultra-stratégique. Une menace iranienne sur cette voie

— même non réalisée — ferait bondir les prix.

 

  • Sabotages ou attaques contre des terminaux pétroliers (Abqaiq, Ras Tanura), à

l’image de l’opération des Houthis en 2019.

 

  • Explosion des coûts d’assurance maritime, avec impact immédiat sur le prix du baril et du transport international.

 

Conséquences économiques :

 

  • Hausse brutale du prix du pétrole et du gaz (scénario de « choc pétrolier partiel »).

 

  • Effets en cascade : inflation importée, hausse des coûts de production, ralentissement économique global.

 

  • Fragilisation des économies les plus dépendantes des importations énergétiques

(Europe, Asie du Sud-Est, Afrique de l’Ouest).

 

Sécurité maritime et logistique mondiale.

 

Le conflit israélo-iranien réactive  un ancien théâtre d’instabilité : la mer Rouge et le golfe Persique, par lesquels transitent chaque jour des milliers de navires commerciaux, pétroliers, porte-conteneurs et tankers.

 

Points critiques :

 

  • Détroit de Bab el-Mandeb (mer Rouge) : potentiellement menacé par les Houthis du

Yémen, alignés sur l’Iran.

 

  • Ports israéliens (Haïfa, Ashdod) : vulnérables à des frappes asymétriques de précision.

 

  • Canal de Suez : bien que sous contrôle égyptien, il pourrait être contourné si la mer

Rouge devient un espace contesté.

 

Conséquences logistiques :

 

  • Ralentissement du commerce maritime mondial, notamment entre Asie et Europe.

 

  • Reroutage des flux maritimes via le cap de Bonne-Espérance, entraînant surcoût,

délais et perturbation des chaînes d’approvisionnement.

 

  • Risque accru de piraterie opportuniste et de trafics régionaux.

 

Marcs financiers et instabilité des devises.

 

Une escalade militaire durable entre Israël et l’Iran affecterait fortement la confiance des marchés, déjà éprouvés par les tensions géopolitiques et les politiques monétaires restrictives des banques centrales.

 

Impacts :

 

  • Volatilité des bourses, notamment à Londres, New York et Tokyo.

 

  • Dépréciation des devises des pays émergents fortement importateurs d’énergie.

 

  • Réorientation des capitaux vers des valeurs refuge : or, bons du Trésor américain, franc suisse.

 

Risques systémiques :

 

  • Pression sur les économies fragiles (Liban, Tunisie, Égypte), qui dépendent à la fois du

tourisme, de l’énergie subventionnée et de la stabilité régionale.

 

  • Tensions sociales accrues, pouvant se traduire par de nouvelles vagues de contestation ou de migrations forcées.

 

Sécurité globale : montée des alertes et renforcement des dispositifs militaires.

 

Le conflit provoque un réarmement défensif et offensif dans plusieurs régions du globe, en particulier dans  les zones à haut risque.

 

Répercussions sécuritaires directes :

 

  • Renforcement des bases américaines au Moyen-Orient : Koweït, Qatar, Bahreïn, Jordanie, Émirats.

 

  • Alerte maximale en Israël : activation permanente de l’alerte antimissile, réservistes

mobilisés.

 

  • Surveillance renforcée du cyberespace, face aux menaces d’attaques contre les

réseaux énergétiques, bancaires ou gouvernementaux.

 

Sécurité en Europe et au-delà :

 

  • L’OTAN, bien que non directement impliquée, suit de près l’évolution de la crise pour prévenir un éventuel débordement vers ses flancs sud.

 

  • L’Union européenne doit se préparer à gérer une nouvelle crise énergétique, et

éventuellement un afflux de réfugiés en cas d’effondrement de l’ordre au Levant.

 

  • Les compagnies aériennes, les assureurs, les armateurs redéfinissent leurs zones

d’exclusion, ce qui accentue le coût global de la circulation.

 

Redéfinition des alliances économiques et sécuritaires.

 

La confrontation israélo-iranienne risque de reconfigurer les réseaux d’alliances

économiques, de plus en plus dictés par des logiques de sécurité :

 

  • Accélération de l’intégration énergétique entre Israël, l’Égypte, Chypre et l’Europe

(via l’EastMed).

 

  • Rapprochement stratégique entre Israël et les pays du Golfe, à travers des projets de défense intégrée.

 

  • Pression accrue sur la Chine pour clarifier ses positions vis-à-vis de l’Iran, au risque de tensions commerciales avec l’Occident.

 

Par ailleurs, les grandes puissances devront choisir entre maintenir la stabilité du marché et soutenir leurs alliés stratégiques, ce qui pourrait les mener  à de nouveaux arbitrages géopolitiques et commerciaux difficiles.

 

Conclusion intermédiaire : vers une instabilité durable ?

 

La crise israélo-iranienne révèle la fragilité croissante de l’architecture économique et sécuritaire mondiale, dépendante de corridors  vulnérables, de flux énergétiques centralisés, et d’un équilibre géopolitique désormais remis en cause. Si elle devait s’inscrire dans la durée, cette confrontation ouvrirait la voie à une nouvelle ère de désordre stratégique globalisé,

dans  laquelle le facteur militaire redevient central dans la régulation des marchés.

 

 

 

  1. Conclusion stratégique – Une dissuasion à l’épreuve du XXIe siècle.

 

La frappe israélienne contre les infrastructures nucléaires et militaires iraniennes ne constitue pas simplement un épisode supplémentaire dans une rivalité régionale prolongée : elle marque un changement de paradigme stratégique aux implications profondes pour l’équilibre

 

mondial. Cette action assumée, ciblée mais directe, contre un État souverain soupçonné de franchir le seuil nucléaire, remet en question les fondements de la dissuasion telle qu’elle a été pensée depuis la Guerre froide, et annonce un XXIe siècle où la régulation des rapports de force devient plus incertaine, plus fragmentée et potentiellement plus dangereuse.

 

La doctrine Begin à l’ère des armes hybrides.

 

En opérant une frappe préemptive sans coordination multilatérale ni couverture diplomatique formelle, Israël réactualise et radicalise la doctrine Begin, selon laquelle aucun ennemi stratégique ne doit pouvoir accéder à l’arme nucléaire, quel qu’en soit le coût politique ou militaire. Mais, à la différence des précédents historiques (Irak 1981, Syrie 2007), l’État hébreu intervient ici dans un monde post-bipolaire, où la circulation des technologies, l’effondrement des mécanismes de contrôle collectif et la montée des puissances révisionnistes réduisent l’efficacité des anciennes règles du jeu.

 

La frappe contre l’Iran révèle ainsi une nouvelle grammaire de la puissance, faite de :

 

  • Frappe limitée mais à fort impact psychologique ;

 

  • Usage simultané d’outils conventionnels et cybernétiques ;

 

  • Communication contrôlée, jouant sur l’ambiguïté stratégique.

 

La dissuasion, jadis fondée sur la menace de destruction massive et la stabilité de la terreur mutuelle, est désormais concurrencée par une logique plus fluide, plus calculée, mais aussi plus incertaine.

 

Un équilibre stratégique brisé, un monde sans arbitre.

 

L’épisode israélo-iranien démontre que plus aucune autorité n’est en mesure de réguler ou de contenir efficacement l’usage de la force entre États. Le Conseil de sécurité de l’ONU est paralysé par les rivalités entre ses membres permanents. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est perçue comme affaiblie ou instrumentalisée. Et les tentatives de médiation régionales (Qatar, Turquie) restent marginales face aux enjeux systémiques.

 

Ce vide normatif aboutit à un monde où :

 

  • La préemption devient un droit stratégique auto-attribué ;

 

  • La dissuasion ne garantit plus la paix, mais devient un levier de négociation temporaire

;

 

  • Le facteur technologique (drones, IA, cyber) bouleverse les cycles classiques de la guerre et de la paix.

 

L’Iran pourrait, pour sa part, en tirer la leçon inverse : accélérer coûte que coûte l’accession à l’arme nucléaire, non pas comme moyen de guerre, mais comme seul rempart crédible à l’ingérence extérieure, suivant l’exemple nord-coréen. Une telle dynamique plongerait le Moyen-Orient dans une ère de prolifération incontrôlable, rendant caduques les efforts des trois dernières décennies en matière de non-diffusion.

 

La fin du monopole occidental sur la régulation de la force.

 

La crise actuelle marque aussi la désintégration du monopole occidental sur la définition légitime de l’usage de la force. Tandis qu’Israël revendique une action de « légitime défense élargie », la Russie invoque des « frappes préventives » en Ukraine, la Turquie agit sans mandat contre les Kurdes, et la Chine se prépare à reprendre Taiwan par la force si nécessaire.

 

Ce contexte impose une redéfinition des normes de la sécurité internationale, au risque de voir se généraliser une anarchie stratégique, où chaque puissance impose ses règles, selon sa capacité d’imposition et de justification.

 

Que reste-t-il de la dissuasion ?

 

À l’épreuve de la réalité contemporaine, la dissuasion nucléaire — pivot de la paix relative depuis 1945 — apparaît aujourd’hui :

 

  • Moins dissuasive face aux frappes hybrides et limitées ;

 

  • Moins crédible dans les États autoritaires fragilisés, où le centre de décision est difficile à cibler ;

 

  • Moins contrôlable dans un monde multipolaire où plusieurs puissances nucléaires non officielles ou émergentes (Pakistan, Corée du Nord, Israël, bientôt l’Iran ?) revendiquent des doctrines d’emploi ambiguës.

 

Le système de la dissuasion n’est pas mort, mais il est déconstruit, contourné, fragilisé. Le risque n’est plus seulement l’usage de la bombe, mais le contournement du seuil nucléaire par des formes intermédiaires de conflictualité, non couvertes par les mécanismes classiques de prévention.

 

Vers une nouvelle architecture stratégique… ou vers le chaos ?

 

Le conflit israélo-iranien, par sa nature et ses répercussions, pose  une question centrale à la communauté stratégique internationale : peut-on encore bâtir un système de sécurité collective dans un monde  fragmenté ? Ou faudra-t-il s’habituer à une multiplication des conflits localisés, asymétriques, mais interconnectés, avec des effets globaux permanents ?

 

Les options sont limitées mais claires :

 

  • Renégociation du Traité de non-prolifération (TNP) avec intégration des puissances de seuil.

 

  • Création d’un mécanisme de désescalade au Moyen-Orient, incluant Israël, les

monarchies du Golfe, l’Iran et la Turquie.

 

  • Développement d’un droit international de la guerre hybride, pour limiter les zones grises.

 

À défaut de tels efforts, le monde entrera dans  une ère stratégique nouvelle, marquée par la fluidité du danger, l’opacité des intentions et la banalisation des frappes préventives. La dissuasion ne sera plus une garantie de paix, mais un fil fragile tendu au-dessus du vide.

 

Bibliographie indicative.

 

  • Cordesman, A. H. (2021). Iran’s Evolving Military Threats. Center for Strategic and

International Studies (CSIS).

 

  • Pierre Razoux (2015). Le siècle des Asymétries : Guerres et stratégies au XXIe siècle.

CNRS Éditions.

 

  • IISS – International Institute for Strategic Studies (2023). The Military Balance.

 

  • Bruno Tertrais (2019). La dissuasion nucléaire en débat. Fondation pour la Recherche

Stratégique (FRS).

 

  • Joseph Nye (2020). Do Morals Matter? Presidents and Foreign Policy from FDR to Trump.

Oxford University Press.

 

  • AIEA – Rapports sur l’Iran 2024-2025 (accès restreint).

 

  • Janes Defence Weekly – Bulletins géostratégiques hebdomadaires (consultés entre avril et juin 2025).

 

 

 

Recommandations pour les décideurs stratégiques.

 

  1. Renforcer les mécanismes de dialogue de crise régionaux, incluant les puissances non signataires du TNP.

 

  1. Évaluer les doctrines de frappe préemptive à l’aune du droit international

contemporain.

 

  1. Développer une architecture de sécurité hybride capable de traiter les menaces non conventionnelles (cyber, drones, proxys).

 

  1. Éviter la prolifération nucléaire par des garanties régionales de sécurité, en lien avec les puissances globales et les organisations régionales.

 

@Adrien Macaire Lemdja du cabinet A.M.L Consulting

Lauteur est analyste stratégique et consultant en géopolitique. Spécialiste des conflits asymétriques, des doctrines de dissuasion et des dynamiques de sécurité dans le monde, il intervient régulièrement auprès de centres de réflexion militaire et d’institutions diplomatiques. Il dirige le cabinet A.M.L Consulting. Il propose ici une lecture transversale du dernier épisode de la confrontation israélo-iranienne, dans une perspective systémique, intégrant les dimensions politiques, militaires, économiques et doctrinales.

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