par Renaud Lecadre
Condamné en 2017 pour blanchiment de fraude fiscale, l’ex-maire de Corbeil-Essonnes s’était déjà illustré entre 2008 et 2012 pour avoir «rapatrié» entre 20 et 30 millions d’euros destinés à l’achat de votes.
«On a le droit de verser de l’argent où on veut, j’ai le droit d’avoir des comptes déclarés partout.» Fût-ce en Suisse, au Luxembourg, au Lichtenstein ou aux Bahamas, car la galaxie bancaire des Dassault faisait évidemment le tour de la planète. De son vivant, Serge Dassault, au cœur du système d’achat de votes à Corbeil-Essonnes dont le procès débute ce lundi à Paris, aura donné le ton devant les enquêteurs, en garde à vue, parfaitement décontracté : «Ce sont mes affaires personnelles.» Et de narrer cette anecdote, sur sa singulière volonté de conquête de la capitale de l’Essonne qui aurait vu Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, lui balancer dans les années 70 : «Qu’est-ce que vous faites à Corbeil, vous n’y arriverez jamais, il faut aller à Neuilly !»
Cagnotte helvétique fructifiante
Cela ne nous rajeunit pas. Avant de décéder en mai 2018, le capitaine du groupe aéronautique aura aussi évoqué son père Marcel, déporté durant la Seconde Guerre mondiale, revenu miraculeusement d’un camp de concentration. Puis bénéficiaire d’un compte en Suisse pour mettre sa descendance à l’abri en cas de besoin. La cagnotte helvétique aura fructifié, aux bons soins du rejeton de la dynastie Dassault. Entre ici en scène Gérard Limat, banquier suisse, ami intime de Marcel puis de Serge, qui sera également sur le banc des prévenus.
Selon le pointage des enquêteurs, confirmé par l’impétrant, Limat aurait contribué à rapatrier, de 2008 à 2012, entre 20 et 30 millions d’euros en espèces. Il en a détaillé le modus operandi devant les enquêteurs, via l’officine franco-suisse Cofinor, prestataire de services financiers en tous genres et à la bonne franquette : «On se donne un lieu de rendez-vous, par exemple devant le MacDo pas trop loin de l’Arc de triomphe, une personne lambda me remet un sac en plastique passe-partout (Carrefour, Fnac…), lequel contient de l’argent en numéraire entouré de papier journal. Ce n’était que des liasses de billets de 100 euros.» Que Gérard Limat remettait aussitôt en mains plus ou moins propres à Serge Dassault, au siège du groupe industriel, au rond-point des Champs-Elysées, à Paris.
«Ordre de monsieur Dassault»
Limat qualifiera de «sibyllines» ses relations avec Serge Dassault. «Il me demandait simplement : « Vous êtes de passage à Paris ? » Puis je déposais le sac dans un coin de son bureau et immédiatement on parlait d’autres choses.» Titillés par cette logistique très particulière, les policiers oseront cette question en garde à vue : «Ces sommes en espèces proviennent-elles des cercles de jeu ou de casino ?» Réponse sublime : «Je n’en sais rien.» Avant de se retrancher derrière ce mantra : «Ordre de monsieur Dassault. Pour moi cela s’arrête là.»
L’industriel avait été condamné en février 2017 pour blanchiment de fraude fiscale. Echappant toutefois à la prison, «compte tenu de son âge [91 ans, ndlr], une peine, même assortie de sursis, n’aurait aucun sens», avait alors pointé le tribunal correctionnel. Mais écopant toutefois de deux millions d’euros d’amende plus cinq ans d’inéligibilité. A l’audience, le parquet avait déjà persiflé sur une «cagnotte aux multiples usages, achats de votes, ventes d’armes». L’affaire de Corbeil-Essonnes, bien que n’ayant pas vocation à traiter de l’évasion fiscale, remet une pièce dans la machine.
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