Alors que le destin de l’application StopCovid est incertain, le gouvernement prépare une autre stratégie pour le traçage des contacts (contact tracing) en vue d’identifier et suivre les chaînes de transmission du virus. Mais pour cela, des fichiers informatiques sont créés pour traiter les données personnelles des Français. On fait le point.
C’est depuis le 11 mai que s’est mis en place le plan du gouvernement pour organiser le déconfinement progressif du pays, avec une première phase qui s’étale jusqu’au 2 juin — si du moins les voyants restent au vert. Pour autant, les contraintes demeurent fortes, en particulier du fait du maintien de l’état d’urgence sanitaire, qui a été instauré en mars, et qui est parti pour être prolongé au-delà du 24 mai.
En effet, le gouvernement a fait voter un texte qui proroge ce dispositif inédit et, surtout, en complète les dispositions avec de nouvelles mesures. L’exécutif n’avait pas le choix : il lui fallait passer par la loi. Désormais, l’état d’urgence sanitaire perdurera jusqu’au 10 juillet inclus. C’est une échéance imposée par le parlement qui est un peu plus courte que celle voulue par l’exécutif, qui proposait le 23 juillet.
12 articles composent ce texte qui a été promulgué le 12 mai. L’un d’eux toutefois se démarque : il s’agit de l’article 11, qui constitue d’ailleurs à lui seul tout un chapitre de la loi. Il est consacré aux « dispositions relatives à la création d’un système d’information aux seules fins de lutter contre l’épidémie de covid-19 », dans le cadre du traçage des contacts (contact tracing).
Que peut-on dire aujourd’hui de ce nouveau système d’information, ainsi que des données qui seront recueillies et traitées pour identifier et remonter les chaînes de transmission du virus SARS-CoV-2 ? On fait le point.

QUELS SONT LES OBJECTIFS DE CE PLAN ?
Ce nouveau système d’information vise à « lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 », justifie le gouvernement, une maladie qui a touché en France plus de 130 000 personnes, et dont plus de 25 000 ont péri. En effet, dans le plan du gouvernement pour aboutir au déconfinement, il y a la volonté d’effectuer « un travail d’identification » de tous les cas contact autour d’une personne infectée.
Quatre grandes finalités sont annoncées :
- L’identification des personnes infectées, via des examens de biologie ou d’imagerie médicale pertinents ainsi que par la collecte de leurs résultats, y compris non positifs, ou par la transmission des éléments probants de diagnostic clinique susceptibles de caractériser l’infection. Ces informations doivent être renseignées par le personnel médical ;
- L’identification des personnes présentant un risque d’infection, par la collecte des informations relatives aux contacts des personnes infectées, au moyen si besoin d’enquêtes sanitaires en cas de cas groupés, par exemple ;
- L’orientation et l’accompagnement des personnes infectées et celles susceptibles de l’être, en fonction de leur situation, vers des prescriptions médicales d’isolement pour éviter d’autres contaminations ;
- La surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, ainsi que la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation, à condition de supprimer les nom et prénoms des personnes, leur numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques et leur adresse.
POURQUOI LE GOUVERNEMENT VA DANS CETTE DIRECTION ?
Le gouvernement juge qu’il est nécessaire de créer des systèmes d’information ad hoc, car les dispositifs actuels « ne permettent pas le recensement des cas confirmés à destination d’un dispositif de tracing ni de mettre en œuvre le tracing lui-même », lit-on dans l’étude d’impact. Dans ces conditions, « il n’existait pas d’autre option que de permettre la création » dudit système.
QU’EST-CE QUE LE CONTACT TRACING ?
Le traçage des contacts, ou contact tracing, consiste dans les grandes lignes à retracer les chaînes de transmission du virus, en identifiant les personnes qui sont malades ainsi que les individus qui ont été en contact prolongé avec elles. Cette méthode peut être faite par une application mobile, mais elle peut très bien être « artisanale », par exemple avec des enquêtes épidémiologiques menées sur le terrain. Ces moyens humains sont utilisés depuis des décennies.
L’un des enjeux du contact tracing est de déterminer ce qu’est un contact proche entre deux individus et, donc, de classer l’un des deux individus comme un « cas contact » si l’autre est effectivement malade. Deux facteurs jouent principalement : la proximité physique et la durée de cette proximité. Ce n’est pas la même chose de croiser un malade dans la rue que d’être attablé avec un porteur pendant une heure.
COMMENT LE CONTACT TRACING SERA-T-IL MIS EN ŒUVRE ?
Selon le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’objectif est donc, dans le cadre du contact tracing, de « collecter des données d’ordre non médicales et médicales, pour les porter à la connaissance d’un grand nombre d’intervenants ». Il est question de diviser ce travail en trois niveaux de traçage des contacts, sans qu’il ne soit encore très clair sur les tenants et les aboutissants de ces différentes strates.
« Le recueil des résultats des tests par les laboratoires, le tracing de niveau 1 sera opéré par les médecins, le tracing de niveau 2 sera fait par l’assurance maladie, le tracing de niveau 3 est fait par les ARS pour identifier les zones de forte circulation virale, la surveillance épidémiologique locale et nationale sera organisée par Santé publique France et la Direction générale de la Santé ».
QUELLE DURÉE D’UTILISATION ?
L’existence de ce système d’information devra être limitée dans le temps. Aucune échéance n’est gravée dans le marbre, le texte expliquant qu’il sera mis en œuvre « pour la durée strictement nécessaire à [la lutte contre l’épidémie de Covid-19] ou, au plus tard, pour une durée d’un an à compter de la publication de la présente loi ». Le texte devrait être adopté courant mai, ce qui dessine une échéance à mai 2021.
L’expiration de ce dispositif dépendra aussi de plusieurs facteurs sanitaires : quels sont les traitements disponibles et efficaces pour secourir les malades ? Où en est le vaccin pour protéger l’organisme et l’entourage ? Quel est l’état de la courbe des personnes infectées ? En fonction des réponses apportées à ces questions, la date de fin pourrait être avancée ou repoussée.
DE QUELLES DONNÉES PARLE-T-ON ?
Dans la mesure où il s’agit d’identifier des personnes infectées ou susceptibles de l’être, il est évident que des données à caractère personnel seront recueillies, traitées et stockées. Il y aura aussi des données médicales, puisqu’il est question de savoir la situation sanitaire de différents individus. Or dans la législation, ces éléments bénéficient d’une protection accrue, car il s’agit de données sensibles.
Le détail des données en jeu n’est pas encore connu. Le projet de loi renvoie les modalités d’application à un décret ultérieur, une fois recueilli l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dont le rôle est de s’assurer que les libertés publiques et individuelles ne sont pas fragilisées et, le cas échéant, que les exceptions soient limitées et temporaires.
COMMENT SERONT UTILISÉES CES DONNÉES ?
Selon le ministre de la Santé Olivier Véran, les données doivent être rassemblées dans un dossier médical partagé dédié au coronavirus.
Celui-ci s’appuiera sur deux fichiers : le fichier Sidep (Système d’Information pour la Déclaration des Essais de Produits), « dans lequel seront inscrites les informations des laboratoires de biologie médicale lorsqu’un patient aura été testé positif », et le système Contact Covid, « inspiré du site de l’Assurance maladie Ameli, qui permettra d’avoir les coordonnées des personnes à contacter », déclarait le ministre le 2 mai.
Le gouvernement prévient que ces données « peuvent être partagées », mais cela ne veut pas dire à n’importe qui. En filigrane, on comprend que cela concernera les fameuses « brigades » qui regrouperont des médecins libéraux et d’autres membres d’équipes de l’assurance maladie, ainsi que des agents habilités de certains services d’organismes issus du secteur de la santé. Cela signifie cependant que du personnel non-médical sera autorisé à manipuler des informations de santé, et cela pose évidemment de nombreuses questions éthiques.
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