par Sudeshna Sarkar et François Dubé

Cinq ans après le début de la construction, la première ligne électrifiée transfrontalière est en exploitation entre Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, et le port de Djibouti, parcourant les 756 km entre 10 et 12 heures. Le trajet qui s’effectuait en véhicule pouvait prendre plusieurs jours. L’ancienne ligne construite par la France il y a un siècle était à l’abandon en raison du manque de fonds pour sa maintenance et sa remise à niveau.
Cette ligne de 3,4 milliards de dollars a été construite par China Railway Group et China Civil Engineering Construction, qui l’exploitera pendant six ans. Elle a été financée à 70 % par l’Eximbank de Chine, le solde par le gouvernement éthiopien. Le matériel roulant a été construit par China North Industries. Depuis sa mise en service le 5 octobre, la ligne est à l’essai pendant trois mois pour le fret seulement. Les passagers pourront l’emprunter à partir de janvier. Sa capacité journalière est de 5 600 passagers et 3 500 tonnes de frets par trajet. Les conducteurs et les contrôleurs chinois seront en charge pendant cinq ans en attendant de former le personnel local.
Getachew Betru, PDG d’Ethiopian Railways, a déclaré que la ligne était importante pour constituer la capacité nationale de l’Éthiopie dans le secteur ferroviaire. Un groupe de 50 Éthiopiens a été envoyé en Chine en formation. « Ils sont les nouveaux leaders du secteur ferroviaire », a-t-il souligné. China Railway Construction travaille par ailleurs avec les autorités éthiopiennes pour établir une institution de formation des Africains dans la gestion ferroviaire dans son pays.
« Cette ligne va changer le paysage socioéconomique de nos deux pays, a assuré le Premier ministre éthiopien Hailemariam Dessalegn lors de son inauguration avec le Président de Djibouti Ismail Omar Guelleh, en présence du Président togolais Faure Gnassingbé et de l’envoyé du Président chinois Xi Jinping et président de la Commission national pour le Développement et la Réforme de Chine, Xu Shaoshi. Elle va jouer un rôle significatif dans la transformation industrielle de l’Éthiopie, lui permettant d’être un pays à revenu moyen d’ici 2030. Cela résoudra les goulets d’étranglement dans l’import-export et renforcera la compétitivité de l’Éthiopie sur les marchés internationaux. C’est un projet historique qui va ouvrir un nouveau chapitre dans le partenariat entre les trois pays, l’Éthiopie, Djibouti et la Chine. »
Cette ligne est une planche de salut stratégique pour l’Éthiopie enclavée, car près de 90 % de son commerce international passe par le port de Djibouti. Zemedeneh Negatu, partenaire auprès du cabinet Ernst & Young pour l’Éthiopie fait d’ailleurs le point. « Il s’agit d’une réduction substantielle en termes de coûts de transport et logistiques pour les investisseurs. Les marchandises arrivent plus rapidement. Pour les commandes, dans le textile ou le cuir par exemple, les fournisseurs savent que le train sera là dans les 10 heures, alors qu’il fallait jusqu’à 10 jours par camion. »
Cette ligne est un élément important dans le projet éthiopien de construire un réseau régional de 5 000 km d’ici à 2020 vers le Kenya, le Soudan du Sud et le Soudan. Elle va stimuler les investissements des entreprises chinoises, indiennes et turques dans le pays, qui a déjà attiré pour environ 2 milliards de dollars d’IDE, contre 108 millions en 2009.
Transformer Djibouti
À Djibouti, la ligne est aussi une planche de salut en cette période de crise économique. Plus de 40 % de la population est pauvre, avec un taux de chômage de plus de 60 %. L’accès à l’Éthiopie et ses 99 millions de consommateurs sera donc plus facile. La ligne permet aussi de faire de Djibouti un nœud des transports et de la logistique dans la région, ce qui bénéficiera aux producteurs locaux.
Osman Abdi Ali, directeur adjoint au ministère de l’Économie, des Finances, du Plan et de la Privatisation du pays, estime qu’elle « contribue aux ambitions de Djibouti, à savoir devenir une porte et un carrefour crucial pour le transit des marchandises vers l’Éthiopie et les autres pays enclavés du Marché commun pour l’Afrique orientale et australe avec ses 430 millions d’habitants ». La Chine finance 14 autres projets d’envergure dans les infrastructures, notamment le Port multifonction de Djibouti de 400 millions de dollars, une zone de libre-échange, et deux nouveaux aéroports. Ces projets sont le fruit d’un « processus à long terme basé sur la confiance mutuelle », selon M. Ali. « Nous voyons une forte consolidation des relations entre la Chine et Djibouti, ce qui aura un impact clair et positif sur l’environnement économique du pays. »
Connecter l’Afrique
La ligne poursuit la tradition de coopération sino-africaine débutée dans les années 1970, quand le gouvernement chinois avait aidé la Tanzanie et la Zambie à construire la ligne entre les deux pays, réduisant la dépendance économique de la Zambie enclavée.
La Chine s’est engagée à développer le routier, le ferroviaire et l’aviation en Afrique. Les sociétés chinoises installent des voies ferrées dans de nombreux pays africains. China Communications Construction remplace ainsi la ligne à voie étroite construite par les Britanniques reliant Mombasa à Nairobi. Ce projet de 3,8 milliards de dollars deviendra un autre réseau ferré régional reliant le Kenya, le Rwanda, le Burundi et le Soudan du Sud. China Railway Construction construit pour sa part une ligne de 1 400 km au Nigéria. À l’avenir, de plus en plus de pays africains entreront dans la coopération ferroviaire sino-africaine.
« C’est la première fois. Et c’est fantastique », disait Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l’UA lors de sa visite officielle de six jours en Chine dans le TGV Beijing-Tianjin en novembre 2015. Le 5 octobre, la Chine et la Commission de l’UA ont signé un accord pour un plan de cinq ans qui verra la Chine apporter son aide dans la construction d’un réseau intégré de TGV, un projet-phare de l’Agenda 2063.
Moctar Yedaly, responsable de l’information à la Commission, estime qu’un rêve se réalisera en Afrique. Ce projet sino-africain, selon lui, sera basé sur les bénéfices mutuels, la promotion des entrepreneurs et industriels africains ainsi que sur le renforcement des capacités et le transfert de technologies à l’Afrique.
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