ALTERNANCE: ET SI LA SOLUTION N’ÉTAIT PAS DANS L’URNE ?
Par JOSEPH ZE
( partie 2/3 )

Et c’est ici que la confession du commissaire Jean Fochivé, le Foccart camerounais, le plus grand architecte et bâtisseur devant l’éternel des méthodes de terreur et de répression en place, prend tout son sens :
Pour y avoir participé, je peux jurer, en ce qui concerne le Cameroun, que nul autre que le détenteur du pouvoir ne peut remporter les élections. Le mécanisme que nous avons mis en place est occulte, efficace et incontournable. Quelle que soit l’impopularité de M. Paul Biya, il ne pourra partir que lorsqu’il voudra bien partir et ce n’est pas lui qui a mis le mécanisme en marche. C’est un peu comme ce bunker qu’il ne connaissait pas quand il est arrivé à la présidence
A ceux qui ne jurent que par la candidature unique de l’opposition, M. Pierre Ela , un autre commissaire, tout aussi introduit, répond en écho : J’avais posé cette question à un gouverneur de province, à deux semaines de l’ouverture de la campagne pour l’élection présidentielle de 1997 :
– Pensez-vous que l’opposition a une chance de l’emporter si elle présente un candidat unique ?
- Non, des dispositions pratiques ont été prises pour que l’opposition perde, même si elle présente un seul candidat.
- Avec ces dispositions pratiques, les élections au Cameroun sont d’autant plus futiles que le décret précède, suit ou renforce la fraude pour la rendre légale et banale.
- A quoi sert-il à un parti d’opposition de se présenter aux élections législatives quand un décret peut octroyer quinze députés à une province de 400 000 habitants et deux à un département peuplé de 600 000 ou bien, comme en 1997 dans l’Extrême-Nord, arrêter les élections pour opérer un découpage spécial très intéressé ?
- En 2002, le rapport des élections de Justice et Paix de l’église catholique relevait que dans la province du Sud, il y avait un député pour 46 757 habitants alors que dans les provinces du Littoral, du Nord-Ouest, du Nord…,
- Un député représentait environ 98 000 habitants ! En clair, un électeur du Sud valait (et vaut peut-être toujours !) deux électeurs dans les autres provinces !
A quoi servent les élections municipales au Cameroun quand on sait qu’au bout du compte c’est toujours le RDPC qui, à travers une tutelle ombrageuse et la nomination (en violation flagrante des dispositions de l’article 55 de la constitution) des super-maires gèrera toutes les mairies quel que soit le parti qui les a gagnées ?
En dehors de celui des tout-puissants délégués du gouvernement nommés, qui connaît le nom d’un maire élu dans les communautés urbaines que constituent désormais toutes les grandes villes aux enjeux démographiques, politiques, économiques et sociaux ?
D’ailleurs dans son interview à France 24 il y a quelques années, M. Biya, en affirmant que « dialoguer c’est partager » a démontré la vanité des élections en justifiant l’éventualité d’un dialogue avec M Fru Ndi et du rapatriement des restes de « son illustre prédécesseur »
Je suis prêt à le rencontrer, je n’ai pas de problème. Nous avons encore un Sénat à élire, nous avons encore des Assemblées régionales à élire, nous voulons qu’il y ait de l’harmonie dans la gestion des affaires de l’état.
Sénat à élire, Assemblées régionales à élire, harmonie dans la gestion des affaires de l’état ! . Mais quels liens mystiques y a-t-il donc entre les mots rencontre, élections et harmonie dans la gestion ? Mais les choses s’expliquent d’elles-mêmes et deviennent beaucoup plus limpides quand il évoque l’élection du fils de M. Ahidjo comme député :
Je n’ai pas d’objection et je dois dire que le fils de mon prédécesseur est député. Il vient d’être…Je n’ai pas de problème avec la famille de mon prédécesseur. Ses fils et filles vont et viennent et personne ne les a jamais inquiétés.
Il confirme ainsi, sans peut-être s’en rendre compte qu’aux élections, les partis politiques ne reçoivent pas ce que dévoilent les urnes, mais
« un quota autoritairement fixé d’avance » qu’il leur attribue afin qu’il y ait partage…léonin et « harmonie dans la gestion des affaires de l’état ».
En un mot, qu’il fraude ! Sinon, pourquoi aurait-il associé le mot objection avec le fait que le fils de son prédécesseur est député ? Ceci implique deux choses :
1- soit que c’est lui qui l’a fait député,
2- ou que de même qu’il aurait pu empêcher ses autres frères et sœurs « d’aller et de venir librement », autant il aurait pu l’empêcher d’être librement élu.
Mais comment donc ? Remarquez que M. Biya n’a pas pu achever une de ses phrases, s’étant arrêté juste à temps pour ne pas choisir entre deux mots antithétiques qui se chevauchaient et se bousculaient dans sa tête : élu et nommé !
Car si le fils de son prédécesseur est député du seul fait de la volonté des électeurs, il est « élu ». Mais si c’est parce qu’il n’y avait pas trouvé d’objection et n’avait pas empêché qu’il soit élu, il estime que c’est sa volonté et non celle des électeurs qui le fait député, et il pense alors à « nommé » ! Voilà pourquoi dans l’embarras, les deux mots se sont étranglés dans sa gorge et la phrase n’a pas fini sa course ! Mais, trop tard, le mal était déjà fait.
Il est donc de notoriété publique qu’au Cameroun, les élections sont ainsi devenues un simple rituel cathartique, spectaculaire et médiatisé à souhait, qui permet simplement au pouvoir en place de singer la volonté populaire par des tours de passe-passe en vue de d’auto-reproduire et de se perpétuer. Comme le dit fort à propos Patrice Yengo , :
Ne pouvant perdre le pouvoir, le chef ne peut qu’être élu démocratiquement. La fraude, ombre accolée à toute forme de suffrage, prend ici une dimension nouvelle. Dès lors que le pouvoir est absolutisé, la fraude cesse d’être marginale pour devenir structurante de la consultation elle-même. La mise en œuvre de la démocratie, pour les classes dirigeantes, ne se réalise que dans l’assimilation simultanée des formes de la fraude qui, dans le cas présent, participent des métamorphoses de la privatisation du pouvoir
Et, comme s’il parlait du Cameroun, il ajoute : « La concurrence n’est rendue possible que dans la mesure où elle offre au chef d’être « l’unique » : celui-ci la suggère et la construit lui-même. Les concurrents sont à sa mesure, comme lui est à la mesure du pays dont il incarne toujours l’unité nationale et la paix « perpétuellement retrouvée ».
A ce titre, l’élection est nécessairement « de masse » et « unanime ». Deux caractéristiques qui, à bien des égards, participent de la « bonne gouvernance » réclamée aux dirigeants africains et qui, à travers diverses appellations (démocratie dirigée, consensuelle, africaine ou apaisée…) traduisent la continuité des formes inchangées de l’exercice du pouvoir.
Ceci explique le nombre de candidats-alibi annoncés à chaque élection présidentielle, de pseudo-partis d’opposition au service du statu quo, de la prolifération des motions de soutien et des tonnes « d’Appel du Peuple ».
Commandités et sponsorisés, et de toutes ces prestidigitations qui fabriquent au chef une popularité factice et meublent le quotidien des ‘’démocratures verbalocrates ‘’ et rétrogrades des tropiques. Les élections se suivent donc sans que jamais la volonté authentique du peuple soit prise en compte, car la fraude leur est consubstantielle.
Elles permettent simplement au RDPC d’étendre de plus en plus ses tentacules et son emprise liberticides sur le territoire afin de montrer aux yeux du monde que les Camerounais ont rejeté le multipartisme et la démocratie qu’ils jugent précipités et inadaptés pour leur pays.
Dans son rapport publié après les élections couplées de 2002, la fraude avait atteint les proportions telles que l’ONEL.
Pourtant totalement acquis au gouvernement en place, s’est vu contraint de révéler à son corps défendant qu’il a observé que « le carriérisme pousse les autorités administratives à être partisans ; que celles-ci ont beaucoup de mal à résister à l’influence et à la pression des élites extérieures dont l’immixtion intéressée dans les affaires « du village » est de plus en plus décriée et néfaste au déroulement serein des élections.
Que l’élite exerce tellement de chantage sur son pouvoir réel, ou supposé et l’imminence des sanctions en cas de résistance que les autorités administratives finissent généralement par céder.
Il se plaignait d’avoir relevé des cas plus que flagrants de violation de la loi dans la Bénoué-Ouest (un condamné candidat), Kumba-Centre (violences et fraudes), Balikumbat (violences), Bambous (Violences), Mifi (fraudes) et d’avoir soumis au MINATD une liste d’autorités administratives à sanctionner, propositions restées sans effet à ce jour.
De même, il déplorait que l’Administration ait rejeté des listes qu’il avait réhabilitées conformément à ses missions dans le Mungo et à Muyuka.
A SUIVRE … ( 3/3)
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